NIL
Le statu quo
L'hydro-impérialisme égypto-soudanais se joue aussi à l'échelle du bassin puisque, à aucun moment, les pays de l'amont ne sont consultés sur ce traité de 1959 qui ne leur accorde aucun mètre cube pour d'éventuels projets. C'est à ce moment que les Éthiopiens commencent à étudier les possibilités de mise en valeur du Nil Bleu, jouant de l'équilibre de la guerre froide, d'abord au côté des Américains contre l'Égypte non alignée, dont le haut barrage est financé par l'Union soviétique puis, de 1974 à 1991, auprès des Soviétiques. L'Éthiopie s'oppose de plus en plus vigoureusement à l'accord de 1959 n'ayant pu, jusqu'à présent, faire aboutir qu'un seul projet de barrage hydroélectrique en aval du lac Tana. Pourtant, les aménagements prévus joueraient de façon marginale sur l'écoulement du Nil compte tenu de son encaissement souvent supérieur à 1 000 mètres, empêchant l'exploitation de périmètres irrigués étendus. L'Éthiopie n'a jamais pu emprunter auprès de la Banque mondiale pour des projets, même hydroélectriques, faute d'appui auprès de la communauté internationale qui a peur de déplaire à l'Égypte, dont la stabilité est essentielle.
La participation des États riverains du haut cours a commencé avec le lancement, en 1993, du Technical Cooperation Committee for the Promotion of the Development and Environmental Protection of the Nile Basin. En 1999, ce fut la création de la Nile Basin Initiative, réunissant les pays du bassin... Pour autant, même si les revendications des pays du Haut-Nil ont trouvé une tribune, c'est toujours au Soudan, au Soudan du Sud et surtout en Égypte que la question des eaux du Nil reste la plus cruciale. L'Égypte, à défaut d'autres sources en eau, a dépassé le seuil de stress hydrique. Avec moins de 800 mètres cubes par habitant et par an, elle doit faire face à une dépendance alimentaire croissante.
À la suite des crues exceptionnelles (1994, 91,9 km3 ; 1996, 92,2 km3 ; 1998, 121 km3 et 1999, 95,2 km3), l'Égypte a dû utiliser en urgence le déversoir de la dépression de Toshka, en amont du barrage d'Assouan qui avait atteint sa côte d'alerte, et y jeter plusieurs kilomètres cubes. La situation de quasi-débordement au niveau de Toshka, accentuée par la formation d'un delta à la tête du réservoir où se déposent les sédiments les plus lourds, y a incité à la mise en œuvre d'un vaste projet d'irrigation qui ne fait qu'aggraver le ton des discussions avec l'Éthiopie, à qui il est expressément interdit d'entreprendre toute retenue des eaux du fleuve. L'Éthiopie voit de même d'un très mauvais œil le canal de la Paix, qui pourrait permettre le transfert des eaux du Nil vers la Palestine et Israël au travers du Nord-Sinaï. Il est bien évident que l'Égypte s'engage dans une exploitation des eaux du Nil qui dépasse son quota déjà très élevé et qu'aucun partage des surplus avec les pays amont n'est envisagé. Simplement en 2005, fort d'une manne pétrolière naissante, le Soudan a engagé la construction du barrage hydroélectrique de Méroé (1 200 MW) qui, inauguré en 2009, doit couvrir 60 p. 100 des besoins actuels du Soudan et autoriser l'extension des surfaces cultivées, ce que le pays peut se permettre puisqu'il n'utilise pas totalement son quota ; un autre barrage doit suivre plus au nord, à Qajbar, près de Dongola, et trois autres sont à l'étude, alors que les barrages plus anciens de Roseires et de Sennar sont en cours de surélévation.
La pression en aval, celle de l'Égypte et accessoirement du Soudan, sur les eaux du Nil, ne laisse donc aucune marge d'exploitation en dehors de l'hydroélectricité aux pays de l'amont qui peuvent, eux, en revanche développer une[...]
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Écrit par
- Éric DENIS : chargé de recherche au C.N.R.S.
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