NILOTIQUES
Les Shilluk et la royauté sacrée
Au début du xxe siècle, lorsqu'ils furent étudiés par C. G. et Brenda Z. Seligman, les Shilluk occupaient une bande sur la rive occidentale du Nil vers le 10e parallèle nord. Pays plat et herbeux, aride pendant la saison sèche et marécageux pendant la saison humide, cette région convient à l'élevage et à l'agriculture que pratiquent les quelque 110 000 Shilluk. Selon l'opinion actuellement la mieux étayée, les Shilluk sont descendants du premier groupe nilotique qui s'est stabilisé lors des migrations. L'ethnologue Vinigi L. Grottanelli préfère les appeler prénilotiques.
L'institution la plus originale de la société shilluk était, fort probablement, la royauté sacrée. Le roi, appelé reth, était le représentant du Nyikang, ou plutôt le reposoir de son esprit qui, à travers lui, gouvernait le peuple Shilluk. Les Shilluk pensaient que Nyikang avait été un des chefs de la migration luo et parce qu'il avait choisi, après un combat, de s'établir là où ils habitaient, ils le considéraient comme leur fondateur toujours régnant par le truchement des reth, ses descendants. Selon l'anthropologue britannique E. E. Evans-Pritchard, l'autorité du reth était plus rituelle que politique. Son influence s'étendait sur la centaine de villages constituant la société shilluk ; les chefs de ces villages n'étaient pas des fonctionnaires nommés par le roi mais des élus locaux et en outre ils choisissaient le successeur du roi, qui était alors fictivement considéré comme le descendant direct du roi précédent.
Certains traits de l'institution royale des Shilluk sont particulièrement intéressants car ils sont analogues à des caractéristiques qui se retrouvent ailleurs, ce qui peut indiquer origine commune ou emprunts. Ainsi le régicide : lorsque le reth manifestait une perte de pouvoir (affaiblissement par la maladie ou l'âge, diminution de la puissance sexuelle, incapacité de préserver son royaume d'une disette ou d'une épidémie, ou de réprimer une révolte), on considérait qu'il n'était plus un porteur adéquat de la puissance de Nyikang et que, pour le bien de son peuple, il devait disparaître. Après son assassinat, qui était plutôt une exécution rituelle, un interrègne de désordre était prévu pendant lequel les plus importants notables, en particulier les patriarches des lignages ordinaires, le chef d'un village du Nord et celui d'un village du Sud, élisaient un successeur. Lorsque après de nombreuses tractations on s'était mis d'accord, le nouveau roi levait une armée dans le Nord, les prêtres de Nyikang une autre plus au sud, et après un simulacre de combat ou l'armée du Nord devait être vaincue, le nouveau roi s'asseyait sur le trône sacré dans la capitale, Fachoda, et l'esprit de Nyikang prenait possession de lui, le faisant trembler de la tête aux pieds. Dans un nouveau combat simulé, l'armée du roi avait le dessus.
Ce régicide coutumier, qui est avéré sans qu'il soit possible de connaître la fréquence de son application, dont on trouve trace chez d'autres Nilotiques que les Shilluk, évoque l'Égypte pharaonique. Si l'on ajoute l'isolement rituel du roi, le trône symbole du pouvoir monarchique, le mariage entre le roi et sa sœur, la division symbolique du royaume entre Sud et Nord, il paraît vraisemblable que cette configuration culturelle trouve son origine en ancienne Égypte et ait été transmise par des voies que l'on ignore aux Nilotiques.
Seligman et Murdock soulignent la probabilité de l'influence égyptienne. A. C. A. Wright avance une hypothèse expliquant au moins l'origine de la royauté sacrée chez les Shilluk et sa ressemblance avec celle de la dynastie nilotique des Bito, au Bunyoro. Ce parallélisme devient intelligible si on admet que les[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jacques MAQUET : professeur à l'université de Californie à Los Angeles
Classification
Autres références
-
ANTHROPOLOGIE RÉFLEXIVE
- Écrit par Olivier LESERVOISIER
- 3 448 mots
...aussi différents que l’âge, le sexe, le statut social et (ou) le phénotype. Les remarques de E. E. Evans-Pritchard sur ses expériences vécues dans les sociétés nilotiques sont sur ce point révélatrices de la manière dont l'ethnologue peut être situé différemment selon ses interlocuteurs : « Les Azandé... -
DINKA
- Écrit par Encyclopædia Universalis
- 459 mots
Dans la province du Bahr el-Ghazal (Soudan du Sud), entre Wau et Malakal, dans le bassin central du Nil, vivent, au début du xxie siècle, environ 2 millions de Dinka, étroitement apparentés à leurs voisins du Nord-Est, les Nuer. Ils sont divisés en un très grand nombre de tribus dont les principales...
-
KARAMOJONG
- Écrit par Roger MEUNIER
- 480 mots
Le terme de Karamojong désigne à la fois un groupe de populations nilotiques et l'une des ethnies de ce groupe, les Karamojong proprement dits. Apparentées linguistiquement, ces populations sont localisées au nord-ouest du Kenya et dans les régions adjacentes de l'Ouganda ; outre les Karamojong,...
-
KENYA
- Écrit par Bernard CALAS , Encyclopædia Universalis , Denis Constant MARTIN , Marie-Christine MARTIN et Hervé MAUPEU
- 13 794 mots
- 13 médias
– les locuteurs nilotiques des plaines (Jie, Turkana, Samburu, Massaï), des hautes terres (Pokot, Elgoyo, Marakwet, Nandi, Kipsigis) et des rivières (Luo) ; - Afficher les 9 références