NINOTCHKA, film de Ernst Lubitsch
Du cinéma de prestidigitation
Ernst Lubitsch revisite le vaudeville, trame de fond de la narration filmique hollywoodienne. Il lui redonne humour et légèreté. Le film se construit sur des rapports triangulaires (Ninotchka-Léon-Swana ou Ninotchka et ses agents) ainsi que sur trois villes mythiques (Paris, Moscou et Istanbul). Paris, ville de l'amour, du champagne et de la tour Eiffel, devient le centre de toutes les intrigues. Celles-ci se confondent avec l'évolution graduelle de l'héroïne. Après avoir été une rigide bolchévique militante, caricature du régime soviétique, Ninotchka se transforme en grande amoureuse. L'histoire de sa conversion témoigne de toutes les nuances de la séduction. Lubitsch a l'art de muer une action en sentiment ou en scène de fou de rire. Le film redonne une place prépondérante aux seconds rôles qui éclairent le personnage de Garbo. Plus connue à l'époque pour une figuration tragique, Greta Garbo joue ici la comédie. Empruntant à l'opérette dans la tradition viennoise et utilisant tous les ressorts du vaudeville, Lubitsch réussit à faire passer pour moderne toutes ces formes traditionnelles du spectacle. Son scénario témoigne d'exigences de mise en scène plus formelle. Lubitsch se recentre sur des détails ou sur des cadrages spécifiques autour de décors aux volumes démultipliés. La simplicité de ses effets dissimule une réelle sophistication. Le récit glisse dans tous les méandres. Il se doit d'être fluide et musical, aux antipodes de l'expressionnisme allemand. Mais la mise en scène brillante traduit des interrogations plus profondes. Derrière des allures de farce politique, Ninotchka pose la question du devoir et de la trahison. Comment assumer sa destinée ? Pointant l'écroulement d'un monde, Lubitsch montre aussi les limites du cinéma face à la réalité.
Souvent critiqué pour sa frivolité, Lubitsch livre au contraire à la veille de l'entrée en guerre une comédie pessimiste sur le devenir humain, ici confronté avec humour au stalinisme. En 1942, To be or not to be opposant, à Varsovie, une troupe de comédiens à l'occupant nazi, s'en prendra à l'autre totalitarisme du xxe siècle. Lubitsch, prophétique et attentif à ces évolutions, pointe avec ironie dans ces derniers films les désastres qui ravagent l'Europe.
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Écrit par
- Kristian FEIGELSON : maître de conférences, sociologue à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
Média
Autres références
-
STARS ET VEDETTES
- Écrit par Gérard LEGRAND
- 3 608 mots
- 11 médias
...excéder un certain « seuil ». Le court mais indéniable vedettariat de la jeune Danielle Darrieux entre 1935 et 1941 s'explique par cette fidélité. L'échec de Ninotchka, qui annonça la retraite de Garbo, est essentiellement imputable à sa publicité « à contre-courant » (et qui a dû être tenue...