NIRVĀṆA ET SAṂSĀRA
Le mot nirvāṇa désigne la cessation de la transmigration ou succession indéfinie des existences que les Indiens appellent saṃsāra. Il est surtout utilisé dans le bouddhisme où il possède un sens très particulier, la conception du salut étant différente dans cette religion de ce qu'elle est dans l'hindouisme et le jainisme. Le terme et la notion apparaissent dès les origines du bouddhisme, dans les textes canoniques contenant les sermons attribués par la tradition au Buddha. Le mot nirvāṇa désigne la disparition complète, mystérieuse pour un homme de l'Antiquité, d'une flamme sur laquelle on a soufflé, l'« extinction » de cette flamme. Par extension, il est utilisé pour signifier la disparition totale d'une chose dont on ne peut savoir ce qu'elle est devenue ni où sont allés les éléments qui la constituaient. Dans la terminologie bouddhique, il exprime l'idée de salut, c'est-à-dire la délivrance (vimukti, vimokṣā) de la nécessité de renaître et de mourir sans cesse, la fin (anta) des transmigrations (saṃsāra), la cessation (nirodha) de la douleur (duḥkha) inhérente à toute existence, l'épuisement (kṣaya) des courants impurs (āsrava) des passions et des erreurs qui obligent l'être à renaître.
Le nirvāṇa ne se comprend donc bien que si l'on se fonde sur la signification du mot saṃsāra qui désigne, au sens propre, l'action de circuler, de parcourir, et, au sens figuré (le plus généralement employé), le fait de passer d'une existence à une autre, puis, par dérivation, la suite de ces existences, la condition des êtres vivants qui sont tous soumis à ce phénomène.
Le « saṃsāra » et ses diverses interprétations
La croyance en la transmigration apparaît dans l'Inde vers le début du vie siècle avant notre ère, soit juste avant le bouddhisme, le jainisme et les premières Upaniṣad du brahmanisme, qui reposent tous sur elle. Dès cette époque, elle semble avoir été adoptée par la grande majorité des Indiens, bien que les anciens sūtra bouddhiques signalent quelques sectes hétérodoxes qui la rejetaient. Pour ce qui est de l'origine et de la formation de cette croyance, on est réduit aux hypothèses construites à partir de rares données trouvées dans les Brāhmaṇa, textes antérieurs aux Upaniṣad.
Tout en étant d'accord sur le principe général de la transmigration, brahmanistes des Upaniṣad, hindous, bouddhistes et jainas en fournissent cependant des interprétations différentes. Les diverses sectes de chacune de ces religions proposent des solutions variées, parfois opposées, aux deux problèmes fondamentaux que soulève la notion même de saṃsāra : quel est le mécanisme de cette transmigration, autrement dit quelles sont les causes qui expliquent les différences entre les conditions d'existence, de renaissance, et quel est l'élément de l'être qui passe ainsi d'une vie à l'autre ?
Les Upaniṣad et l'hindouisme à leur suite, le bouddhisme et le jainisme s'accordent en gros sur la réponse à la question du mécanisme de la transmigration : c'est la valeur morale des actes ( karman) accomplis dans une existence qui détermine les conditions de la renaissance, comme elle détermine le bonheur ou le malheur qu'on connaîtra dans cette nouvelle vie. Les êtres qui commettent le mal renaîtront dans les enfers, dans des corps d'animaux ou d'hommes misérables, souffrant de pauvreté, de maladie, de mépris, d'oppression sociale, etc., tandis que ceux qui font le bien renaîtront parmi les dieux ou dans des corps d'hommes jouissant de richesse, de santé, de considération, de puissance sociale. En somme, le phénomène de la transmigration, auquel sont soumis tous les êtres vivants, est régi par ce que le bouddhisme appelle « maturation » (vipāka) des actes, sorte de[...]
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Écrit par
- André BAREAU : professeur au Collège de France, chaire d'étude du bouddhisme
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