NO COUNTRY FOR OLD MEN (J. et E. Coen)
Adapté d'un roman de Cormac McCarthy, auteur phare du roman américain contemporain, No Country for Old Men (2007) est l'une des réussites majeures des frères Coen. Dès leurs débuts, ceux-ci ont affectionné particulièrement la périphérie du film noir. Ils l'ont abordé par le biais de l'intrigue crapuleuse à la James Cain (Blood Simple[Sang pour sang], 1984), par celui d'un magistral « à la manière de » Dashiell Hammett (Miller's Crossing, 1990, où certains ont pu voir une adaptation déguisée de La Moisson rouge), par la dérision bouffonne (Fargo, 1996, et The Big Lebowski, 1998) ou par la reconstitution hyperréaliste en noir et blanc (The Man Who Wasn't There[The Barber], 2001).
Bien que le film soit fidèle dans les grandes lignes au roman d'origine, on peut presque oublier la prose corrosive de Cormac McCarthy, tant les deux frères relient No Country for Old Men à leur propre univers par une profusion de détails ainsi que par le choix du road movie, une de leurs formes préférées. La dérision est, bien sûr, présente, notamment dans la silhouette du tueur psychopathe incarné par Javier Bardem, au brushing d'un autre temps et au comportement froidement pratique, ou dans quelques personnages issus de l'Amérique profonde et épinglés par les deux frères cinéastes grâce à la double acuité du dialogue et du regard. Mais, tranchant sur la fantaisie parfois débordante et sur l'inspiration picaresque des Coen, ce film se révèle, avec Miller's Crossing et The Barber, comme un des plus sobres qu'ils aient réalisé, d'une rigueur proche du classicisme, tant dans le récit que dans le cadre composé avec précision.
La trame narrative est comme l'épure d'une situation conventionnelle de film criminel. Un mécanicien, vétéran de la guerre du Vietnam (Josh Brolin), découvre, à l'occasion d'une partie de chasse en solitaire, les restes d'un règlement de comptes entre gangsters et un imposant magot qu'il s'approprie. Il se lance dans une cavale qui va le mener jusqu'au Mexique, suivi à la trace, entre autres, par un tueur obsessionnel qui veut récupérer l'argent et, à distance, par un shérif bonhomme et pragmatique (Tommy Lee Jones) qui s'efforce d'appréhender avec mesure le déferlement insensé de la violence. Le « vieil homme » d'un autre temps auquel le titre fait allusion, c'est lui. Brillamment mais très parcimonieusement dialogué, No Country for Old Men repose sur le comportement laconique, parfois inexpliqué, des trois personnages principaux (rarement en présence l'un de l'autre). Si le shérif paraît occupé par des taches banales, le tueur et l'homme en cavale rivalisent de ruse pour se piéger mutuellement. Une fin dérisoire les fera mourir tous les deux. Auparavant, nous aurons été témoin du surprenant parti que le tueur tire d'une bonbonne d'air comprimé multi-usage, alors que l'homme en cavale aura, quant à lui, détourné plus d'un objet courant de son emploi habituel. La caméra des Coen enregistre en silence ces fascinants rituels de bricolage.
Le déroulement imperturbable du récit pourrait passer pour du cynisme de la part des cinéastes, s'il n'était compensé par leur prodigieuse inventivité quant aux personnages, aux situations et à l'utilisation de l'espace. Dans cette vision désabusée de la rapacité humaine, plane, comme un souvenir dérisoire, la splendeur obsolète du western. L'ouverture du film, avec ses paysages ouverts du Rio Grande, ses voitures abandonnées dans le désert comme jadis les caravanes de colons après une attaque meurtrière, et ses hommes de mains embusqués dans les rochers, témoigne d'un génie du lieu que l'on peut rapprocher de celui d'un John Ford ou d'un Anthony Mann. La majesté des paysages et de la mise[...]
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Écrit par
- Christian VIVIANI
: historien du cinéma, professeur émérite, université de Caen-Normandie, membre du comité de rédaction de la revue
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