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NO LOGO, LA TYRANNIE DES MARQUES (N. Klein)

La publicité chic ne vend plus d'objets, elle loue les vertus des marques. Telle affiche propose une griffe de mode comme un état d'esprit, sans montrer un seul vêtement, avec une femme nue : La City. C'est ce branding de nos inconscients que la Canadienne Naomi Klein analyse dans No Logo, traduit chez Actes Sud en 2001, un an après sa parution au Canada (A. A. Knopf, Toronto). On aurait pu traduire ce mot par marquage, puisqu’en français aussi, comme en anglais, l'opération s'applique au bétail. Ce livre étonnant montre que la nouvelle forme d'invasion de l'espace mental annonce la fin de l'espace public. Il s'inscrit ainsi dans le mouvement anti-corporate, hostile aux marques et à leur stratégie de globalisation.

Ayant souffert, enfant, du look hippie de ses parents, l'auteur est de cette génération « élevée par la télévision et qui veut récupérer son cerveau ». Quitte à plonger dans la littérature fastidieuse du marketing. Ainsi a-t-elle découvert que les consommateurs, pour les publicitaires, « sont comme des cafards – on les asperge, on les asperge et, au bout d'un moment, ils sont immunisés ». En 1992, les annonceurs américains constatèrent non sans effroi que les blattes, totalement immunes, n'achetaient plus que des produits anonymes bon marché. Le prix du paquet de cigarettes Marlboro dut baisser de 20 p. 100. C'est alors qu'« un groupe de sociétés sélect a tenté de se libérer du monde matériel des articles de base, de la fabrication et des produits pour exister sur un autre plan ».

Une fois la fabrication sous-traitée, le marketing peut absorber jusqu'à 85 p. 100 des dépenses d'une firme. Un nouvel âge d'or s'ouvrait pour Madison Avenue. Mais les clients en ont eu pour leur argent. Ce ne sont plus seulement des affiches ou des pages de magazine. On peut lancer des commandos sur un quartier pauvre, pour un affichage sauvage d'autocollants. On peut, comme Nike, choisir de ne pas poursuivre la contrefaçon ni le vol à l'étalage, car il importe avant tout qu'on voie le logo. On peut publier dans la presse un portrait de célébrité tournant autour de sa marque. Et par comparaison, les espaces publicitaires ouvertement vendus pour tels paraissent une infamie, à éviter à tout prix, au grand désespoir des patrons de journaux.

Ce marquage des médias triomphe sur Internet où « les entreprises ne se contentent pas de vendre leurs produits en ligne, elles vendent un nouveau modèle de relation entre médias, sponsors et pourvoyeurs de fonds ». Nombre de musiciens ne doivent leur renom qu'aux publicités pour Gap, ce qui inverse en effet la relation sponsor-artiste. Mais le marquage le plus « instructif » concerne l'éducation.

En France par exemple, c'est l'Éducation nationale qui, dans le cadre de sa campagne pour le respect à l'école, ouvre son site Internet à la marque de prêt-à-porter féminin Morgan « parce que la marque communique sur l'amour ». Aux États-Unis une école pousse la docilité jusqu'à renvoyer un élève pour avoir osé porter un T-shirt Pepsi lors de la journée Coca-Cola. Les leçons télévisées obligatoires, avec publicités, coûtent aux écoles primaires le double d'un abonnement au câble, mais les plus démunies ne peuvent s'en passer. Hélas, le professeur, qui ne peut pas régler le volume du son, paraît bien démodé au regard du matériel fourni. Tandis que, chez les adultes, la contestation politique devient slogan pour fringues ou cliché pour feuilleton télévisé à l'humour subtilement décalé.

Après ce premier chapitre sur l'expansion du branding, intitulé « Zéro Espace », vient « Zéro Choix »,où l'auteur nous montre comment le café du coin sera racheté par la chaîne de cafés Starbuck, justement parce qu'il a du succès.[...]

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