NOBLESSE
La première grande crise nobiliaire (XIIe-XIVe s.)
La cohérence de la domination incontestée de cette noblesse est, dès le xiie siècle, partout ébranlée par la renaissance urbaine et la montée des premières bourgeoisies, qui marquent la réapparition d'une puissance fondée sur l'argent. Dans le centre de l'Europe, l'autorité royale ou ducale avait d'ailleurs toujours imposé une certaine limitation à la puissance nobiliaire. Il en va désormais de même dans l'Occident médiéval. Enfin les croisades en Espagne et en Terre sainte affaiblissent durablement les groupes nobiliaires : numériquement, mais surtout financièrement.
Devant cette montée des périls les noblesses réagissent plus ou moins spontanément. Elles se donnent leurs premières structures juridiques, dont le fondement repose sur un droit d'aînesse de forme extrêmement variée, qui dans ses premiers éléments remonte au xie siècle. Une grande partie de la culture médiévale reste cependant marquée par l'influence et les idéaux nobiliaires, au point que certains historiens allemands ont pu parler d'une première Adelskultur (culture aristocratique). Cette grande crise, sous-jacente au xiiie siècle, éclate au cours des deux siècles suivants. Elle marque surtout l'Occident. Les rares grandes batailles de la guerre de Cent Ans (Crécy, Azincourt) fauchent la fleur de la noblesse française, qui paie en outre, comme partout, son tribut aux grandes pandémies de l'époque. Elle se trouve, enfin, atteinte dans ses œuvres vives par le jeu combiné des pertes accumulées dans les tournois, le jeu, les rançons, le coût de l'équipement militaire (forteresses, cuirasses, devenues inutiles devant les armes à feu), les dépenses somptuaires, la ruine aussi des campagnes due aux ravages des expéditions de pillage. Les reconstructions elles-mêmes – souvent aléatoires ou prématurées – coûtent cher. Aussi le personnel nobiliaire va-t-il se renouveler profondément par l'intrusion de familles nouvelles anoblies de diverses manières. Ce schéma, valable pour l'Occident français et anglais, demanderait, pour l'Italie ou l'Europe centrale, des retouches considérables. La noblesse italienne s'est, très tôt, « urbanisée », plus que toute autre, et participe activement aux entreprises commerciales. À Venise, la noblesse locale domine l'armement maritime jusqu'à la généralisation de l'assurance maritime (xive s.), donc aussi longtemps que l'entreprise commerciale comporte un risque considérable. Dans le Saint Empire romain germanique, les noblesses, d'abord tenues en bride, acquièrent une indépendance grandissante. En outre, le « Drang nach Osten » (la poussée vers l'est) leur offre un champ d'expansion considérable, quasi colonial, sans qu'ils aient à connaître de désastres analogues à ceux de la guerre de Cent Ans. En Italie comme en Europe orientale l'État est fondé sur la noblesse. Partout, cependant, elle a à lutter contre la puissance grandissante des villes. D'où une réaction généralisée, particulièrement forte aux xive et xve siècles, qui se traduit, par exemple, dans l'art allemand, par la prolifération des emblèmes héraldiques grâce à laquelle A. Dürer trouva une partie de la clientèle de ses gravures sur bois. Ce mouvement, qui eut de très grandes conséquences dans le domaine juridique, reste mal connu.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jean MEYER : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Rennes
Classification
Autres références
-
ALLEMAGNE (Histoire) - Allemagne moderne et contemporaine
- Écrit par Michel EUDE et Alfred GROSSER
- 26 892 mots
- 39 médias
Il y a en Allemagne deux noblesses. D'abord la vieille noblesse d'Empire – dans la mesure où elle a survécu aux guerres des xvie et xviie siècles. À cette catégorie appartiennent, d'une part les souverains d'États minuscules (Kleinstaaterei), représentés au collège des... -
ANCIEN RÉGIME
- Écrit par Jean MEYER
- 19 105 mots
- 3 médias
L'Ancien Régime est d'abord une société aristocratique, à l'intérieur de laquelle la noblesse, et surtout la haute noblesse, sans cesse mise en cause par les progrès de la monarchie absolue, reste cependant le pôle autour duquel tout tourne. Qu'on ne se laisse pas abuser, en effet, par les expressions... -
ARMES, héraldique
- Écrit par Hervé PINOTEAU
- 1 012 mots
Le droit aux armes (composition dans un écu) et aux armoiries (l'écu plus ses ornements extérieurs) s'est progressivement dégagé au cours des siècles dans les diverses nations de l'Occident chrétien, mais de façon, parfois assez dissemblables. Prises par les chevaliers qui les arboraient sur écus...
-
AUTRICHE
- Écrit par Roger BAUER , Jean BÉRENGER , Annie DELOBEZ , Encyclopædia Universalis , Christophe GAUCHON , Félix KREISSLER et Paul PASTEUR
- 34 129 mots
- 21 médias
...monarchie autrichienne. Ce fut peut-être l'idéal vers lequel tendirent Ferdinand Ier, au xvie siècle, et Joseph II, dans la seconde moitié du xviiie siècle. Il faut bien avouer que ni l'un ni l'autre n'ont réussi à vaincre l'opposition des différentes noblesses locales ; Metternich lui-même ne gouverna qu'avec... - Afficher les 39 références