DEVAULX NOËL (1901-1995)
Auteur de deux courts romans (Compère, vous mentez, 1948 et Sainte-Barbegrise, 1955), c'est dans ses dix-neuf recueils de contes fantastiques que l'art de Noël Devaulx est le plus accompli : L'Auberge Parpillon, 1945 ; Le Pressoir mystique, 1948 ; Bal chez Alféoni, 1955 ; La Dame de Murcie, 1961 ; Frontières, 1966 ; Avec vue sur la zone, 1974 ; Le Lézard d'immortalité, 1977 ; La Plume et la Racine, 1979 ; Le Manuscrit inachevé, 1981 ; Le Vase de Gurgan, 1983 ; Visite au palais pompéien, 1994. Ses premiers contes, ceux du Pressoir mystique, écrits pendant la guerre, décrivent un monde dans lequel la terreur se glisse insensiblement : dans Le Mont Cœlius, les infirmes sont gazés ; dans Babel, un Premier ministre fou asservit tous les peuples du monde et les extermine pour régner sur l'univers. Ces textes, fantastiques en apparence, révèlent en fait l'univers concentrationnaire et ils furent interdits sous l'Occupation. Ce recueil est caractéristique de l'art de Devaulx : chez lui, le fantastique ne fait jamais d'irruption brutale ; on y glisse imperceptiblement à travers la description « réaliste » de lieux et de situations privilégiés.
Les contes de Devaulx s'organisent à partir d'un petit nombre de constantes : paysages, personnages, situations. Tous se passent dans des lieux inhabités, en marge de la réalité : no man's land de banlieue (Avec vue sur la zone), cimetières (Le Septième Compagnon), hôtels désaffectés (Anamorphose, Les Vandales), villes abandonnées (Aubade à la folle), musées ou bibliothèques (Le Manuscrit inachevé, Devoir de vacances). Le narrateur (les contes de Devaulx sont tous écrits à la première personne) a une culture et une profession qui le laissent dans un état de disponibilité intellectuelle : voyageur de commerce, employé de bureau (Le Maléfice), bibliothécaire (Le Manuscrit inachevé), conservateur de musée (Devoir de vacances). Certaines situations reviennent de façon obsessionnelle : voyage dans un pays inconnu (Le Voyage de noces), réception chez des gens mystérieux (Bal chez Alféoni, Une charmante soirée). Dans ces lieux et ces situations stéréotypés, décrits avec minutie, une fissure imperceptible du réel se produit, et le narrateur glisse peu à peu dans un univers irrationnel (comme semblaient irrationnels les camps d'extermination du Mont Cœlius) qui le plus souvent débouche sur la mort : Le Septième Compagnon, La Vieille Dame, sont des voyages chez les morts.
Le thème principal de Devaulx est en effet l'effusion de la mort dans la vie, de la folie dans le monde de la raison, du rêve dans le réel. C'est à certains contes de E. T. A. Hoffmann que les œuvres de Devaulx font le plus penser. Le style est sobre, discret, et rend l'atmosphère d'autant plus étouffée et mystérieuse. Devaulx lui-même a donné dans Bal chez Alféoni une manière d'art poétique : « Je me demandais si la parfaite clarté du sens littéral ne favorisait pas l'épanouissement du contenu poétique », ou « L'histoire est peu de chose par elle-même ; mieux : en tant qu'histoire elle n'avait aucune existence, mais le lecteur subissait fortement l'attrait d'un événement qui ne pouvait manquer de se produire. »
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Écrit par
- Christophe MERCIER : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé de lettres modernes, éditeur
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