NOËL MARIE ROUGET dite MARIE (1883-1967)
Tout semblait se conjuguer pour empêcher que ne parvînt au monde un des chants les plus émouvants de notre temps. Une petite provinciale, sans relations littéraires, publiait sous un pseudonyme aux remugles de sacristie des recueils aux titres dévots. Pourtant Marie Noël, avec Les Chansons et les heures (1920), Le Rosaire des joies (1930) et Les Chants de la merci (1930), rencontra la gloire sans l'avoir jamais recherchée. « Le poète, ce n'est pas moi, c'est Marie Noël », aurait reconnu la comtesse de Noailles. Henri Bremond constatait : « Parmi nos poètes [...] je n'en vois pas un que je préfère à Marie Noël. » Tout le monde applaudit lorsque, reçu à Auxerre au lendemain de la Libération, le général de Gaulle lui déclara : « Mademoiselle, je salue en vous la poésie. » Plus surprenant encore, le communiste et surréaliste Aragon lui ouvre toutes grandes les colonnes des Lettres françaises et, sans se soucier de ce qu'en diront les bien-pensants, la pieuse vieille fille y publie d'admirables et édifiants contes de Noël.
Pareille réussite ne ressemble-t-elle pas, elle aussi, à un conte de Noël ? Sans doute a-t-il fallu au poète un minimum de chance pour que des critiques, sans se laisser arrêter par les apparences, aient ouvert les volumes distribués au hasard par un service de presse malhabile. Ils viennent de tous les horizons poétiques et politiques. Ce sont Victor Giraud et Raymond Escholier, Jean-Jacques Brousson et Lucien Descaves, Édouard Estaunié et Henri Ghéon. Ce seront, plus tard, André Blanchet et Michel Manoll sans oublier Montherlant. Tous s'enthousiasment devant ce qu'ils n'hésitent pas, unanimement, à appeler du génie. Un génie tout neuf et qui semblait avoir disparu de la littérature française depuis l'époque de la chanson populaire. Un génie fait d'une candeur adamantine mais reposant sur la plus vaste des cultures, d'une spontanéité merveilleuse mais toujours contrôlée, sans qu'on le devine, par la plus solide des intelligences et servie par une science innée de la prosodie et de ses ressources.
Si la poésie de Marie Noël est poésie de femme et fait une large place au mal d'aimer, il ne faudrait pas se méprendre. Ce thème de l'amour malheureux — qui a suffi à la gloire d'une Desbordes-Valmore — ne constitue qu'une part ou mieux un aspect de son inspiration. C'est le mystère de la vie tout entier, de la naissance à la mort, avec de vertigineuses incursions dans l'Au-delà, qui sollicite sa réflexion. Mais le mot est faux. Il ne s'agit pas ici de réflexion mais de divination, d'une perception intuitive, profonde, qui emporte le poète, le faisant pénétrer, au rythme d'une musique qui littéralement le possède, au cœur même des mystères les plus secrets. C'est ainsi que, vieille fille, elle chante, dans le Poème du lait : [...] le cher supplice / D'être la gorgée émouvante toute en mon petit changée. Dans Hurlements ce sont les cris d'un enfant mort qu'elle nous fait entendre, inoubliables : Ce n'est pas toi... / Ce sont tes sœurs, des gens, ton père, / N'importe quoi ! Rarement une simple « faute » de syntaxe, voulue, a permis d'atteindre, dans nos lettres, sous la quotidienneté des mots, une violence pareille. Fille pieuse, dévote — mais qui a traversé la terrible nuit obscure des grands mystiques —, elle n'hésite pas à donner la parole au Christ lui-même, le dressant contre son Père et lui demandant de permettre son Incarnation afin de pouvoir connaître la mort : La Mort que Vous avez faite / Sans la goûter et qu'en bas / L'homme sait, et que la bête / Sait, et que Dieu ne sait pas. (Comment ne pas souligner au passage l'habileté des enjambements ?)
La mort crée en Marie Noël une angoisse, une panique tout animale. Dans tous ses recueils,[...]
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Écrit par
- Robert LOUIS : journaliste
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