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LVOVSKY NOÉMIE (1964- )

Un voyage dans le temps

Film somme, Camille redouble renoue avec l'essence même de l'univers cher à Noémie Lvovsky : regard aiguisé porté sur les détails pertinents, plaisir de souffler le chaud et le froid, sens des contre-rythmes, variations sur le temps et la nostalgie mais aussi sur l'avenir, questionnement sur l'identité : reste-t-on le même tout au long de son existence ? Le film se présente comme un faux remake à la française de Peggy Sue s'est mariée (Francis Ford Coppola, 1985). On y voyait une femme s'évanouir en 1985 et se réveiller en 1960 pour revivre son adolescence, mais avec sa conscience d'adulte essayant, sans succès, d'éviter ce qu'elle savait devoir advenir de négatif à l'âge adulte.

Noémie Lvovsky conserve l'ancrage fantastique du voyage dans le temps et même l'année repère 1985. Mais, cette fois, il s'agit de l'époque où se retrouve Camille jeune tandis que, au présent de narration, elle est devenue une comédienne à tout faire. Elle qui rêvait de théâtre au lycée, on la voit égorgée dans le savoureux pastiche « gore » de la séquence qui ouvre le film. Portée sur l'alcool et abandonnée par son mari, sa vie semble un échec. Bravement, Noémie Lvovsky conserve son physique de quarantenaire un peu boulotte pour revêtir les habits d'adolescente de son personnage et retrouver ses camarades de seize ans. Rien de burlesque ici tant la performance est époustouflante. La dimension autobiographique ainsi décalée s'intègre de façon réjouissante au contexte de ce cocasse film d'apprentissage à l'envers, qui fournissait déjà sa trame à La vie ne me fait pas peur. La même frénésie volubile s'y retrouve, avec les gentilles copines « à la vie à la mort », tandis qu'une tendresse délicate nimbe le portrait de ses parents (le couple insolite formé par Yolande Moreau et Michel Vuillermoz). Sachant qu'elle mourra brutalement, Camille enregistre constamment la voix de sa mère au magnétophone (notamment lorsqu'elle chante Une petite cantate, de Barbara), tout en se jurant de ne pas tomber amoureuse d'Éric, dont elle sait maintenant qu'il la quittera en 2012. Mais comment renoncer dans ce cas à être plus tard la mère d'une fille qu'elle adore ? Noémie Lvovsky joue en virtuose de ces subtilités psychologiques. Cependant, le retour à la dure réalité du présent conservera les traces de l'incroyable « vérité » de ce passé revécu dont témoigne le professeur de physique (Denis Podalydès) que Camille retrouve vieilli de vingt ans mais qui n'en a pas moins ramené des profondeurs du passé le précieux magnétophone de son enfance. Cette voix miraculeusement sauvée d'un temps improbable permettra à Camille de donner à la fois de la chair et de la poésie au finale bouleversant de ce beau film, émouvant et comique.

— René PRÉDAL

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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