NŒUDS (THÉORIE DES)
Depuis le xixe siècle, les mathématiciens étudient les nœuds, et des objets voisins comme les chaînes ou les tresses, afin de comprendre leur géométrie, de les comparer et de les classer.
Nœuds, chaînes, tresses et polynômes
Intuitivement et mathématiquement, deux nœuds sont dits équivalents si l'on peut déformer l'un pour lui donner la forme de l'autre. Si l'on s'en tient au sens commun, tous les nœuds sont équivalents : on peut toujours défaire un nœud quelconque et le transformer ainsi en un segment, que l'on peut alors renouer pour obtenir n'importe quel autre nœud ! Il en va différemment si l'on recolle au préalable les deux extrémités de la corde.
Par exemple, il semble — mais on sait le démontrer ! — qu'on ne puisse pas passer par déformation continue (c'est-à-dire sans couper la corde) du nœud a au nœud d, alors que c'est possible de a à b ou de a à c. Pour le mathématicien, un nœud est donc une courbe dans l'espace, fermée et sans point double, éventuellement orientée, et une chaîne est un ensemble fini de telles courbes.
Classer les nœuds revient alors à chercher des quantités, invariantes par déformation, permettant de les distinguer les uns des autres. Ces quantités peuvent être des nombres : par exemple l'ordre d'un nœud, défini par P. G. Tait au xixe siècle, est le plus petit nombre de croisements apparaissant sur les diagrammes de ce nœud ; ce qui a conduit, empiriquement, cet auteur à une classification des nœuds jusqu'à l'ordre 7.
Cette première exploration lui permit notamment de définir les notions de nœuds premiers et de produit de deux nœuds : le produit de deux nœuds s'obtient en coupant chaque nœud et en recollant les extrémités libres.
Le cercle joue le rôle d'unité pour ce produit. Les nœuds premiers sont ceux qu'on ne peut décomposer en produit de nœuds plus simples et l'on a montré que tout nœud se décompose de façon unique, à l'ordre près, en produit de nœuds premiers. Il suffit donc d'étudier ceux-ci. La classification des nœuds premiers est aujourd'hui connue jusqu'à l'ordre 13 : il en existe 12 965 et D. W. Summers a montré que le nombre de nœuds croît au moins exponentiellement en fonction de l'ordre.
Avec le nœud trivial, d'ordre 0, voici la répartition des nœuds premiers selon leur ordre et leur nombre, sans tenir compte des versions gauche et droite d'un même nœud, s'il y a lieu :
De nombreux autres invariants ont été définis au début du xxe siècle. Entre autres :
— la surface « la plus simple » dont il est le bord ;
— les chemins que l'on peut parcourir quand « on tourne autour dans l'espace » et qui forment un groupe ;
— un polynôme, dû à James V. Alexander (1920) et défini à une puissance t n près. Par exemple, les polynômes du nœud de trèfle et du nœud en huit sont respectivement : Δ(t) = t2−t+1 et Δ(t)=t2−3 t+1. Ces deux nœuds sont donc distincts.
Alexander a également montré que tout nœud peut être obtenu en refermant une tresse brin à brin. Par ailleurs, toujours dans les années 1920, Emil Artin a étudié algébriquement les tresses à n brins, qui forment également un groupe et qui sont engendrées par des croisements élémentaires d'un brin sur (ou sous) le suivant. Le problème de l'équivalence des tresses se ramène alors à une équivalence de mots écrits à l'aide des générateurs.
De nombreuses autres contributions jalonnent un siècle d'histoire. En particulier, K. Reidemeister (1920) a fourni un critère d'équivalence portant sur les diagrammes des nœuds qui a joué depuis lors un rôle considérable, de même que la découverte par J. H. Conway (1971) d'une relation liant les polynômes de trois nœuds ou chaînes qui ne diffèrent qu'en un seul croisement.[...]
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Écrit par
- Jean BRETTE : chef du département mathématique et informatique du Palais de la Découverte
Classification
Médias