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NOIR & BLANC. UNE ESTHÉTIQUE DE LA PHOTOGRAPHIE (ouvrage collectif)

Proposer une vision du monde

Si les expérimentations des avant-gardes qui marquent l’entre-deux-guerres déclinent différentes tonalités douces de gris – comme ces Lys (1930) solarisés par Man Ray –, dans les années 1950 les photographes jouent de plus en plus sur le graphisme et les contrastes lors du tirage, ce que permet le perfectionnement des films et de papiers plus blancs. En 1955, William Klein, avec ses clairs-obscurs insolents, ou Robert Frank, en 1958, avec sa perception personnelle des « Américains », recherchent non pas une reproduction fidèle de la réalité, dorénavant apanage de la couleur, mais une traduction de leurs émotions, de leur vision subjective et poétique du monde. « Le noir et le blanc sont les couleurs de la photographie, déclare Robert Frank en 1960.Pour moi, ils symbolisent les alternatives d’espoir et de désespoir auxquelles l’humanité est à jamais soumise. »

<em>Je n’ai pas de main qui me caresse le visag</em><it>e</it>, M. Giacomelli - crédits : BnF - Département des Estampes et de la photographie © Archivio Mario Giacomelli - Simone Giacomelli

Je n’ai pas de main qui me caresse le visage, M. Giacomelli

En induisant une distance à la fois dans le temps et dans l’espace, l’achronie du noir et blanc accentue l’écart entre la subjectivité de l’auteur et le monde qu’il regarde. La collection de la BnF permet ainsi de déployer le large spectre de tous ces possibles ; du Poivron, no 30(1929), vu par le perfectionniste Edward Weston, à la précision sculpturale des Mariées marocaines(2000) de Valérie Belin, en passant par les graffitis abstraits qu’Aaron Siskind saisit dans New York 2(1951) ; du classicisme d’un Henri Cartier-Bresson, allergique à la couleur, au lyrisme sulfureux de l’iconoclaste Antoine d’Agata ; du minimalisme d’Harry Callahan au maximalisme de Mario Giacomelli révolutionnant le genre avec ses prêtres s’imprimant tels des signes typographiques sur la neige ; des portraits fiévreux de Gérard Petrus Fieret dans les années 1960 aux rigoureuses recherches conceptuelles de Yannig Hedel dans les années 1980.

Une telle densité et une telle richesse des œuvres présentées font du « noir et blanc » un axe privilégié de la collection de la BNF, par le truchement du dépôt légal et des dons d’une part, mais aussi par sa politique d’acquisition. Cette prédominance s’explique évidemment par des raisons historiques, la photographie étant longtemps restée monochrome. Les questions de budget ont elles aussi été déterminantes. Enfin, les problématiques de conservation définissent certaines limites : la BNF n’a ni vocation à conserver les supports matriciels comme les diapositives ni la possibilité d’accueillir les immenses formats couleur des œuvres contemporaines, dont le prix est souvent prohibitif...

Actuelle conservatrice générale et directrice du département des estampes et de la photographie, Sylvie Aubenas estime qu’il ne s’agit pas seulement d’un choix par défaut. Par leur conception de la photographie et leur goût pour le noir et blanc, ses prédécesseurs, notamment Jean-Claude Lemagny en poste trente ans durant, ont joué un rôle primordial dans le devenir de la collection. Ils ont eu aussi, par leurs encouragements et leurs soutiens aux photographes, une incidence sur le milieu de la photographie où la Bibliothèque nationale était en « position de pivot et d’axe nécessaire ».

— Armelle CANITROT

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<em>Je n’ai pas de main qui me caresse le visag</em><it>e</it>, M. Giacomelli - crédits : BnF - Département des Estampes et de la photographie © Archivio Mario Giacomelli - Simone Giacomelli

Je n’ai pas de main qui me caresse le visage, M. Giacomelli