NOMBRES PREMIERS JUMEAUX
On dit que des nombres premiers p et q sont jumeaux si leur différence est égale à 2. Par exemple, 3 et 5 sont jumeaux ; 5 et 7, 11 et 13, 17 et 19, 29 et 31 le sont aussi. Si on continue, on s'aperçoit que les couples de nombres premiers jumeaux ont tendance à se raréfier, mais qu'on en trouve toujours, ce qui conduit à penser qu'il en existe une infinité. Le problème de l'existence d'une infinité de couples de nombres premiers jumeaux est un des plus anciens problèmes mathématiques, mais il résiste toujours, malgré tous les travaux qui lui ont été consacrés au cours des derniers siècles. C'est d'autant plus étonnant qu'on a tout lieu de croire que les couples de nombres premiers jumeaux sont assez fréquents : de manière précise, on conjecture (Hardy-Littlewood, 1923) que le nombre d'entiers n ≤ x tels que n et n + 2 soient tous les deux premiers est de l'ordre de cx/(log x)2, où c > 0 est une constante explicite. Viggo Brun a prouvé, en 1915, que ce nombre est plus petit que c'x/(log x)2, pour une autre constante c'.
On conjecture plus généralement (de Polignac, 1849) que, pour tout entier k pair, il existe une infinité de couples de nombres premiers p, q vérifiant q – p = k. Si on fixe k, ce problème est aussi inabordable que celui des nombres premiers jumeaux qui correspond à prendre k = 2. Pourtant, le 17 avril 2013, un mathématicien d'origine chinoise peu connu de cinquante-sept ans, Yitang Zhang, enseignant dans une petite université des États-Unis après une carrière chaotique, a soumis un article au prestigieux journal Annals of Mathematics qui contenait un résultat remarquable : il existe une infinité de k pour lesquels il existe une infinité de couples de nombres premiers p, q vérifiant q – p = k, et il existe un tel k < 70 000 000. Le résultat de Zhang a été vite confirmé par les experts, et une armée de mathématiciens, emmenée par Terence Tao, Médaille Fields 2006, a entrepris d'améliorer la méthode de Zhang pour faire baisser cette borne de 70 000 000. Au 23 août 2013, ils avaient réussi à faire descendre cette borne à 5 414, mais il est peu probable qu'on puisse arriver à 2 sans de nouvelles idées.
Zhang a obtenu son résultat en raffinant les méthodes introduites par Goldston, Pintz et Yildirim en 2005 pour étudier les petits écarts entre nombres premiers. Notons pn le n-ième nombre premier : p1 = 2, p2 = 3, p3 = 5, p4 = 7, p5 = 11... Des arguments relativement élémentaires montrent que pn+1 - pn est, en moyenne, de l'ordre de log n, mais n → (pn+1 - pn)/log n est très chaotique, et on a tout lieu de penser que (pn+1 - pn)/log n peut prendre des valeurs arbitrairement grandes et arbitrairement petites. En ce qui concerne les valeurs arbitrairement petites, cela est confirmé par le résultat de Zhang, mais c'est l'aboutissement d'une longue série de travaux.
Il est déjà difficile de prouver qu'il existe c < 1 et une infinité de n tels que pn+1 - pn ≤ c log n. Le premier résultat allant dans cette direction est dû à Hardy et Littlewood (1926), qui prouvèrent qu'on peut prendre c = 2/3, si on admet l'hypothèse de Riemann généralisée. Le premier résultat inconditionnel est dû à Erdös (1940), mais avec un c non explicite. Le résultat d'Erdös a été amélioré au fil des ans, grâce à l'introduction de techniques nouvelles, par Ricci (1954) avec c = 15/16, Bombieri et Davenport (1965) avec c = 1/2,..., Maier (1988) avec c = 0,248 4.... Enfin, le résultat attendu a été démontré par Goldston, Pintz et Yildirim, qui ont prouvé qu'il existe C > 0 et une infinité de n tels que :
ce qui, pour tout c > 0, est beaucoup plus petit que c log n, si n est assez grand. Ils ont aussi commenté qu'il s'en fallait d'un « cheveu » pour que leurs méthodes réussissent à prouver l'existence d'un [...]
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Écrit par
- Pierre COLMEZ : directeur de recherche au C.N.R.S.