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RÉELS NOMBRES

Construction de l'ensemble des nombres réels

Le critère de convergence d'une suite énoncé par Cauchy, comme le théorème des valeurs intermédiaires « prouvé » par Bolzano firent vite partie de la panoplie de travail de tout analyste. Mais ces théorèmes semblaient entachés de géométrisme, dérivant de la théorie des proportions que Descartes avait rattachée à la géométrie. Or, après la découverte des géométries non euclidiennes par Lobatchevski (1829), Bolyai (1832) et Riemann (1854), le géométrisme avait mauvaise presse.

Dedekind et l'ordre

L' approche de R. Dedekind est un retour à l'esprit de la construction eudoxienne. Eudoxe avait construit le modèle des raisons à partir seulement des grandeurs (le continu) et des entiers (le discret). Il utilisait à cet effet l'ordre comme règle d'extension (les raisons sont totalement ordonnées, comme les entiers ou les grandeurs). Dans Stetigkeit und irrationale Zahlen (1872), Dedekind construit les nombres réels à partir des rapports d'entiers – les nombres rationnels – en utilisant l'ordre comme règle à compléter. Voici en quoi consiste cette démarche.

Considérons avec Dedekind l'ensemble C de tous les nombres rationnels positifs x tels que x2 ≥ 2. Il est clair que C est un ensemble minoré, c'est-à-dire : il existe un rationnel r, par exemple r = 1, tel que, pour x ∈ C on ait x ≥ r. Si r′ est un autre rationnel positif tel que r′ < r, c'est encore un minorant de C. Existe-t-il, parmi les rationnels, un plus grand minorant, à savoir une borne inférieure de C ? La réponse est négative.

En effet, il suffit d'établir qu'une telle borne inférieure, disons m, si elle existait, vérifierait m2 = 2, équation impossible dans les nombres rationnels. Comme pour la méthode d'exhaustion, il convient, pour établir cette égalité, de raisonner par l'absurde. Supposons d'abord m2 > 2. Puisque m > 0, cherchons un rationnel y tel que y > 0, m > y et (m − y)2 ≥ 2. C'est possible : il suffit pour cela que y vérifie 0 < y < dd est le plus petit des deux nombres positifs (m2 − 2)/2m et m. Ainsi, m − y est un élément de C strictement inférieur à m ; donc m n'est pas un minorant de C ni, a fortiori, une borne inférieure de C. Supposons d'autre part m2 < 2. Imposant à y les conditions 0 < y < d′, où d′ est le plus petit des deux nombres positifs 2 + m et (2 − m2)/(2 + m), on obtient un rationnel y tel que (m + y)2 < 2, ainsi, m + y est un minorant de C qui dépasse m, en contradiction avec le fait que m soit borne inférieure.

De la même façon, si on désigne par C′ le complémentaire de C dans l'ensemble des nombres rationnels cet ensemble ne possède pas de borne supérieure rationnelle. Le couple (C,C′) est l'exemple d'une coupure, au sens de Dededkind.

On constate ainsi l'existence dans l'ensemble des nombres rationnels, de sous-ensembles non vides minorés et sans borne inférieure rationnelle (ou non vides, majorés, et sans borne supérieure). Cette constatation de manque est d'autant plus significative qu'elle traduit le manque de √2, qui est précisément le nombre que l'on veut définir. L'idée est de compléter l'ensemble des nombres rationnels en ajoutant, avec préservation de l'ordre, des points supplémentaires de telle sorte que, dans le nouvel ensemble obtenu, tout sous-ensemble minoré admette une borne inférieure. La démarche de Dedekind est d'enrichir l'ensemble des nombres rationnels pour compenser une propriété manquante de ces nombres pris dans leur ensemble.

Techniquement parlant, Dedekind remarque que la relation d'ordre définie par l'inclusion sur l'ensemble de tous les sous-ensembles non vides[...]

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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