NOMBRES (THÉORIE DES) Nombres algébriques
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Corps de classes
La difficile théorie du corps de classes tire son origine de plusieurs résultats établis au cours du xixe siècle. Nous avons vu que Gauss avait associé, à tout nombre premier impair p, une somme :

En étendant la théorie de Kummer aux corps cyclotomiques Q(α) = K, où α est une racine m-ième de 1, m entier quelconque, on constate que la décomposition d'un nombre premier rationnel p qui ne divise pas md (d discriminant de K) ne dépend que de l'ordre f de p modulo m : p se décompose en e = ϕ(m)/f facteurs premiers idéaux distincts de degré f dans K, où ϕ (m) est l'indicateur d'Euler. En particulier, si p ≡ 1 (mod m), c'est le produit de ϕ(m) idéaux premiers de degré 1 ; au moyen de la fonction ζK, on peut montrer que l'ensemble des idéaux premiers de degré 1 de K est infini, et il en résulte qu'il y a une infinité de nombres premiers dans la progression arithmétique de raison m qui contient 1 (cf. théorie des nombres - Théorie analytique des nombres). Weber a essayé de généraliser ce genre de considérations en remplaçant Q par un corps de nombres algébriques k et m par un idéal m ; il considère le groupe Am des idéaux fractionnaires de k premiers à m et un sous-groupe Hm d'indice fini h′ formé d'idéaux principaux dans Am. Il fait alors les hypothèses suivantes :
a) Les idéaux entiers de k sont « également distribués » dans les classes de Am/Hm (comme ils le sont dans les classes d'idéaux habituelles).
b) Il existe une extension K de k de degré ≤ h′ telle que les idéaux premiers de Hm de degré 1 se décomposent complètement dans K (c'est-à-dire en produit d'idéaux distincts tous de degré 1) ; l'extension K s'appelle un corps de classes pour k.
Weber montre alors que chaque classe de Am/Hm contient une infinité d'idéaux du premier degré. Dans le cas où k = Q, on peut prendre pour Hm le groupe des idéaux engendré par un nombre congru à 1 modulo m ; dans ce cas, Weber a aussi établi que le groupe de Galois de Q(ζm) = K sur Q s'identifie à Am/Hm (ζm racine m-ième de 1), et qu'à chaque sous-groupe H′m ⊃ Hm correspond un corps de classes K′ ⊂ Q(ζm) de groupe de Galois Am/Hm. Dans le cas général, en supposant l'existence du corps de classes K, Weber a seulement démontré que son degré sur k est égal à h′ et qu'il est galoisien sur k. Revenant au cas particulier k = Q, si L est une extension abélienne quelconque de Q, elle se plonge dans un corps Q(ζm) (théorème de Kronecker-Weber) et correspond donc à un groupe d'idéaux principaux H′m, tel que Hm ⊂ H′m ⊂ Am et que Gal(L/Q) ≃ Am/H′m ; l'entier m n'est pas unique, mais il admet une valeur minimale dont toutes les autres sont des multiples (le conducteur de L). Weber a encore formulé des conjectures qui étendent ces énoncés au cas où Q est remplacé par un corps de nombres algébriques k.
Hilbert a abordé la théorie du corps de classes d'un autre point de vue, à partir de la théorie des formes quadratiques, et il est parvenu à construire certains corps de classes, correspondant au groupe de classes d'idéaux A/H+, où A est le groupe des idéaux fractionnaires d'un corps de nombres algébriques k et H+ le groupe des idéaux principaux engendré par des entiers de k qui sont positifs dans tous les plongements réels de k. Le corps de classes de Hilbert est unique, et son groupe de Galois sur k est A/H+ ; dans ce corps, tous les idéaux de ok deviennent principaux.
Frobenius (1896) a introduit un objet important dans la théorie du corps de classes : l' automorphisme de Frobenius, ainsi construit. On considère une extension galoisienne finie K de Q et un idéal premier p de K, divisant un nombre premier rationnel p et non ramifié ; alors le sous-groupe Z(p) du groupe de Galois Gal (K/Q) formé des automorphismes de K qui laissent p invariant (« groupe de décomposition ») s'identifie au groupe de Galois du corps résiduel oK/p sur Z/(p). À l'élévation à la puissance p-ième, qui est un automorphisme de oK/p, correspond donc un élément ((K/Q)/p) de Z(p), qui est par définition l'automorphisme de Frobenius ; pour σ ∈ Gal (K/Q) quelconque, ((K/Q)/(σp)) est conjugué de ((K/Q)/p) sous l'action de σ. Comme les idéaux premiers de K qui divisent p sont tous conjugués, les automorphismes de Frobenius qui leur correspondent appartiennent à une même classe de conjugaison dans Gal (K/Q), et en particulier ils sont égaux si ce dernier groupe est commutatif. Čebotarëv (1925) a pu montrer que, pour toute classe de conjugaison à m éléments dans Gal (K/Q), la densité des nombres premiers p qui donnent des automorphismes de Frobenius appartenant à cette classe est m/n, où n = (K : Q) est le degré de K. La loi de réciprocité d' Artin (1927 ; la formulation d'Artin vaut en fait pour un corps de base k général, et pas seulement pour Q) signifie que, pour une extension abélienne L de Q, l'automorphisme de Frobenius ((L/Q)/p) correspondant à un nombre premier p est l'identité exactement dans le cas où p appartient au sous-groupe H′m correspondant (où m est le conducteur de L).
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Écrit par
- Christian HOUZEL : directeur de recherche au C.N.R.S., professeur à l'université de Paris-VIII-Denis-Diderot
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