NON-VIOLENCE
La non-violence comme stratégie de l'action
Par-delà la diversité de ces motivations, quels sont les principes stratégiques fondamentaux du combat non violent ? Se fondant sur une analyse globale des rapports de domination, celui-ci part du constat que nous nous faisons trop souvent une fausse idée de la violence et des moyens de la combattre, parce que nous surestimons son pouvoir. Lorsqu'il analyse les causes de l'oppression de son pays par le colonialisme anglais, Gandhi souligne que « ce ne sont pas tant les fusils britanniques qui sont responsables de notre sujétion que notre coopération volontaire ». Dans cette perspective, les deux composantes irréductibles d'une situation de domination sont, d'une part, la coercition des oppresseurs et, d'autre part, la coopération plus ou moins forcée des opprimés. Le propos rappelle Le Discours de la servitude volontaire d'Étienne de La Boétie qui notait en son temps : « Je désirerais seulement qu'on me fît comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d'un tyran seul, qui n'a puissance que celle qu'on lui donne. » Il rejoint encore l'expérience de la résistance au totalitarisme soviétique, telle qu'elle est analysée par Alexandre Soljénitsyne ou Václav Havel.
Trois principes stratégiques
On est ainsi conduit à reprendre l'analyse des rapports du maître et de l'esclave développée par Hegel, en insistant sur le consentement implicite de l'esclave à sa propre domination, en tant que figure historique de l'esclavage. Et c'est alors que l'analyse devient stratégie : une stratégie de l'action dite « non violente » dont on peut dégager trois principes importants.
L'affirmation du sujet résistant
Changer sa position d'esclave suppose un processus d'éducation, de « conscientisation » dirait-on en Amérique du Sud, par lequel l'esclave peut parvenir à briser sa mentalité de dominé. Autrement dit, le premier combat de l'opprimé doit être de s'affirmer en tant que personne, en tant que sujet affranchi de sa propre sujétion.
Au commencement de l'action non violente est ce travail qui vise à réveiller la combativité de chacun, comme l'a maintes fois rappelé Martin Luther King à propos des Noirs américains, tant il est vrai que le dilemme n'est pas alors entre violence et non-violence mais entre action non violente et passivité. La démarche même de l'acte fondateur de résistance est de commencer par dire : « Non, plus jamais ça. » C'est d'affirmer sa propre dignité et se libérer de la peur, non pas de « s'en défaire mais plutôt de la brider et de la maîtriser », écrit King.
La non-coopération collective
Résister suppose un apprentissage pour lutter dans le risque partagé et faire preuve d'unité et de solidarité. Pour être efficace, cette mobilisation résistante doit s'insérer dans les structures politiques et administratives, les circuits économiques ou les réseaux culturels du corps social. Or, si la soumission des hommes ne dépend pas uniquement de la violence qu'ils subissent mais aussi de l'obéissance qu'ils consentent, alors une stratégie de résistance est possible, qui consiste à refuser d'obéir et de collaborer. Ce refus se traduit par diverses méthodes de lutte selon son point d'application : à la sphère du travail, la grève ; au secteur des produits et des biens, le boycottage ; à l'appareil des lois et du pouvoir, la désobéissance civile. À travers de telles méthodes, dont il faudrait discuter les conditions d'emploi, la stratégie non violente devient véritablement force de pression et de contrainte sur l'adversaire.
La médiatisation du conflit
En troisième lieu, le combat non violent vise à susciter[...]
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Écrit par
- Jacques SEMELIN : historien et politologue au C.N.R.S.
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