NON-VIOLENCE
La question de la répression
Beaucoup ne croient possible une résistance non violente que si l'adversaire fait preuve d'une certaine retenue. La réussite de ce type de lutte dépendrait d'un consensus implicite entre les adversaires sur le refus des moyens extrêmes, au nom de valeurs partagées. Ainsi, Raymond Aron a relativisé les succès de Gandhi, faisant valoir qu'il se battait contre une démocratie, c'est-à-dire contre un système politique qui, en principe, régule sa propre violence. On objecte toujours aux partisans de la non-violence l'inefficacité de leur stratégie face à l'extrême brutalité du système totalitaire. En fait, divers exemples de résistance sans armes montrent que ce type de lutte peut se développer et remporter quelques succès même contre un pouvoir très répressif.
L'action non violente en démocratie
Dans un régime démocratique, où la confrontation réglée des opinions fait loi, l'action non violente peut raisonnablement espérer, en bravant l'autorité, faire cesser une injustice. Dans ce cas, le pouvoir est en effet mis en contradiction avec ses propres principes : il ne peut continuer indéfiniment de dénier à certains un droit qu'il accorde à d'autres au nom de principes universels. L'exemple américain de la lutte pour les droits civiques des Noirs est un cas typique où universalité et égalité dans les droits politiques, principes proclamés en démocratie, ont finalement, au prix de luttes tenaces, pris effet. De plus, la liberté d'opinion et d'information du régime permet en principe également de rendre manifestes ces contradictions et de susciter l'intervention de tiers favorables dans la masse des citoyens « de pleins droits ».
Sur le plan tactique, les acteurs non violents peuvent aussi exploiter le choc émotionnel provoqué par la répression, choc susceptible de faire croître la sympathie de l'opinion en leur faveur. Ainsi, les images télévisées des chiens policiers lancés contre des enfants noirs, lors de la manifestation de Birmingham (Alabama) le 2 mai 1963, contribuèrent à donner une audience nationale au mouvement de Martin Luther King, en choquant la conscience américaine progressiste. Gene Sharp nomme « jiu-jitsu politique » ce procédé qui consiste à se servir de la force de l'adversaire pour le déséquilibrer. Sûr de son bon droit, l'acteur non violent peut même aller jusqu'à provoquer sa propre répression, par exemple, en s'engageant dans la désobéissance civile, préconisée par Henry David Thoreau (1817-1862). Une telle pratique place en effet les autorités devant un dilemme : si elles restent passives quand leurs propres lois sont bafouées, elles trahissent leur doute quant au bien-fondé de ces lois ; si elles emprisonnent les opposants pacifiques, elles en font des héros, voire des martyrs, fournissant ainsi à leur cause d'excellents arguments de propagande.
L'action non violente en régime non démocratique
Cet effet boomerang de la répression est beaucoup plus incertain à l'intérieur d'un régime autoritaire ou totalitaire, puisque droits politiques et libertés publiques en sont bannis. Il n'y a plus lieu de comparer l'injustice faite à certains et les droits reconnus à tous les autres, le règne de l'iniquité est total. La répression la plus dure est de règle pour tuer dans l'œuf toute tentative de résistance. L'action non violente de masse est alors difficilement envisageable compte tenu du risque mortel qu'elle comporte.
Pourtant, on peut soutenir que, même dans des régimes de ce type, la dynamique symbolique de l'action non violente n'est pas totalement détruite. En particulier, si l'objectif de médiatisation du conflit ne peut se constituer à l'intérieur, il tend à se former à l'extérieur, par-delà les frontières : le tiers se déplace ainsi[...]
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Écrit par
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