BOBBIO NORBERTO (1909-2004)
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Philosophe du droit, historien de la pensée politique, théoricien social, éditorialiste, Norberto Bobbio est l'auteur d'une œuvre considérable, peu systématique, faite essentiellement d'essais, de travaux universitaires, d'articles érudits, d'éditoriaux, d'interventions dans les débats politiques et culturels les plus importants de la péninsule. Tous ces écrits sont fondés sur les distinctions faits/valeurs, être/devoir être, sensations/émotions, idéaux/réalité. Tous évitent les synthèses et privilégient les analyses, les distinctions, les doutes. Ils couvrent essentiellement quatre domaines : la philosophie du droit, l'histoire des doctrines politiques et sociales, l'histoire de la culture et la philosophie de la politique.
Le droit est un langage
Né à Turin le 18 octobre 1909 dans une famille de la bonne bourgeoisie piémontaise, Norberto Bobbio, après une licence en droit, obtient, en 1933, un doctorat en philosophie avec une thèse sur la phénoménologie de Husserl. En 1935, il est inscrit sur les listes d'aptitudes à l'enseignement universitaire de la philosophie du droit et commence sa carrière à l'université de Camerino. Professeur des universités en 1938, il enseignera tout d'abord à Sienne et, dès 1940, à la faculté de droit de l'université de Padoue. S'étant engagé dans des activités de propagande antifasciste, le 6 décembre 1943 il est arrêté par la milice, puis incarcéré à la prison de Vérone. Relaxé à la fin du mois de février 1944, il se réfugie aussitôt à Turin, s'engage dans la Résistance et travaille pour elle dans la clandestinité jusqu'au mois d'avril 1945. En 1948, il est nommé par appel à la chaire de philosophie du droit de l'université de Turin. Membre correspondant de l'Accademia nazionale dei Lincei en 1958, il en devient membre titulaire en 1966. En 1972, il assume l'enseignement de la philosophie de la politique à la faculté de sciences politiques de l'université de Turin, dont il sera le doyen jusqu'en 1979. En 1985, il prendra sa retraite. Une année auparavant, le 18 juillet 1984, le président de la République italienne, Sandro Pertini, l'avait nommé sénateur à vie. En 1994, le prix Balzan pour la philosophie a marqué la reconnaissance internationale de son œuvre.
Dès la fin de la guerre, Bobbio s'est employé à appliquer à la science du droit les acquis des logiques argumentatives, de la linguistique et des méthodologies des sciences sociales. Ses travaux sur la théorie générale du droit, sur les normes juridiques, sur l'argumentation des juristes révolutionnent la philosophie du droit italienne (Teoria della norma giuridica, 1958 ; Il positivismo giuridico, 1961). Ils font découvrir que le droit est un langage, un discours parmi d'autres, un ensemble d'énoncés linguistiques doués de significations incertaines. De là l'importance des procédures pour déterminer les significations, mais aussi pour interpréter, concilier et intégrer les règles pour la production des signifiés. Bobbio fait voir que les normes juridiques ne sont que des règles de comportement, et, en tant que telles, ces mêmes règles constituent un langage, c'est-à-dire des propositions moyennant lesquelles le législateur exprime sa volonté, volonté que la jurisprudence doit ensuite élucider en l'interprétant. Dès lors, il faut toujours manipuler les normes pour rendre plus rigoureux ce langage, c'est-à-dire les compléter, les ordonner, les réduire en système. Il est possible d'élaborer une théorie générale de ce langage prescriptif à la condition de connaître les modalités de l'argumentation juridique ainsi que les schématisations à la base des raisonnements des juristes.
Dans les pays occidentaux, où les juristes ont négligé l'équité au profit de la certitude du droit, de sa validité formelle et de son efficacité, les questions de logique sont devenues prééminentes pour aboutir à la rigueur et à la cohérence. Ce langage prescriptif n'est pas vrai inconditionnellement ; il peut l'être pourvu qu'il soit élaboré avec rigueur et cohérence, c'est-à-dire, en d'autres termes, pourvu qu'il dispose de bonnes règles de définitions et de transformations pour constituer des expressions bien formées. La cohérence de la norme juridique par rapport aux normes sociales est assurée par l'ordre juridique dans son ensemble. Si la cohérence, assurant la certitude, est une condition pour la justice, c'est-à-dire pour traiter les égaux d'une manière égale, alors la connaissance de l'ensemble est primordiale. Bobbio reconnaît toutefois que les normes générales et abstraites s'appliquent mal aux situations concrètes, d'où la création d'inégalités entre les égaux et d'égalités entre les inégaux ; il faut donc fixer des critères de qualification des égaux. Bobbio suppose qu'un pouvoir législatif représentatif et indépendant pourrait y parvenir, mais il doit également avouer que cela est très difficile. Les sources normatives traditionnelles sont, en effet, en crise ; les données extralégislatives, voire extraétatiques, pèsent de plus en plus lourdement. Le monopole de la production juridique y est sérieusement contesté. Dans ces conditions, l'activité créatrice du juge est fortement stimulée. Ce dernier est effectivement en train de devenir un producteur actif de droit. Désormais, il interprète les modèles normatifs en s'inspirant des rapports et des valeurs sociaux plutôt que des seules règles du système juridique. C'est là, assurément, la raison de l'intérêt de la science juridique pour les sciences sociales. Le droit, qui pendant longtemps a été considéré comme une science très spéciale, construite de façon rationnelle, et donc pure de toute influence extrarationnelle, devient peu à peu une branche de la science générale de la société, la science politique, voire la sociologie.
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Écrit par
- Giovanni BUSINO : professeur ordinaire de sociologie générale à l'université de Lausanne, directeur de l'Institut d'anthropologie et de sociologie
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