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BOBBIO NORBERTO (1909-2004)

Un « philosophe militant »

À partir de la fin des années 1960, Bobbio devient un « philosophe militant ». Il analyse les questions d'actualité, du mouvement estudiantin au terrorisme, de la crise du marxisme à l'involution du communisme, du retour de la droite à la guerre du Golfe, du pacifisme à l'écologie, des combats pour l'Europe à la crise de la société italienne. Il fuit les vérités absolues réputées meurtrières pour le dialogue et pour la valeur qui le rend possible, la tolérance. De ces années-là datent ses livres sur le socialisme et la démocratie, sur la liberté et la justice.

Dans Quale Socialismo ? (1976), Bobbio écrit que le xxe siècle a eu des États socialistes sans démocratie et des sociétés démocratiques sans socialisme. Il impute les raisons de cette situation au sous-développement de la théorie socialiste de l'État, incapable de concilier les principes de l'égalité avec ceux de la liberté, d'accommoder le centralisme dérivant de la politique de liquidation des inégalités avec les exigences de l'autonomie sociale et des droits individuels, d'assurer un lien permanent entre les groupes sociaux et l'alternance de ceux-ci au pouvoir. Bobbio reste néanmoins convaincu que la rencontre du socialisme avec la démocratie est une nécessité absolue pour la survie de notre civilisation, pour la consolidation de l'esprit démocratique, pour l'équilibre social. À ses yeux, le socialisme représente l'exigence d'égalité, le libéralisme les limites au pouvoir de l'État et la démocratie le pluralisme et la dissension. Il est indispensable que ces trois traditions se rencontrent et fusionnent dans les sociétés postindustrielles, où l'existence de valeurs unanimement partagées est pratiquement impossible et où pourtant les choix communs sont inéluctables. Dans l'impossibilité absolue de dépasser les antagonismes de classe, d'éliminer les divisions sociales, de constituer la société en unité, seule la démocratie peut assurer la paix et le changement, le conflit et la cohésion, la diversité et l'unité.

Dans les ouvrages de sa dernière période, Bobbio doit constater que la démocratie, en Occident, ne suscite plus de passions nouvelles, de nouveaux idéaux, d'idées grandes et généreuses, ne mobilise guère l'esprit civique, ne suscite pas les grandes vocations humanitaires et réformatrices (Il futuro della democrazia, 1984). La démocratie est impuissante à résoudre les grands problèmes de société, elle est affectée par la corruption, son fonctionnement est dispendieux et inefficace. La prolifération des organisations représentatives, le rôle des médias, les sondages d'opinions ont transformé les règles de fonctionnement des institutions. La démocratie a fonctionné jusqu'ici car le gouvernement était contrôlé par le Parlement et ce dernier par les électeurs. Dans un cas comme dans l'autre, la transparence était à la base du rapport gouvernants/gouvernés, délégués/citoyens. La démocratie peut bien fonctionner seulement là où le pouvoir est transparent, visible. Les mécanismes de la représentation politique ne prennent d'ailleurs de sens que dans cette perspective. Là où se développent des formes de pouvoir invisible, la démocratie périclite. Bobbio décrit minutieusement la dégénérescence de la démocratie italienne, le criptogoverno (les services secrets, toutes sortes de pouvoirs occultes à tous les niveaux) et le sottogoverno (l'utilisation des institutions publiques pour dispenser des faveurs, manigancer les grandes ou petites combines et profiter de l'économie souterraine, sous la garantie du « consociativisme »).

Il ne voit d'autre remède à cette dégénérescence que la réduction de la distance entre la démocratie en tant que principe idéal et la démocratie en tant que pratique quotidienne.[...]

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Écrit par

  • : professeur ordinaire de sociologie générale à l'université de Lausanne, directeur de l'Institut d'anthropologie et de sociologie

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  • CONSTITUTION

    • Écrit par
    • 4 216 mots
    • 1 média
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