NORD CANADIEN
Le Nord canadien est une vaste région qui dépasse les trois entités administratives que sont le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut. De prime abord, il faut distinguer la partie située au nord du cercle arctique, désignée comme le Grand Nord, et celle du Moyen Nord – soit la zone de transition entre la forêt boréale et le cercle arctique, qui varie en fonction des spécificités morphologiques et climatiques. La région est riche en gisements minéraux, en particulier de diamant, d’or, d’argent, d’uranium, de terres rares, de fer, de zinc et de cuivre. Les ressources gazières et pétrolières sont également importantes. Les activités extractives dans le Nord sont donc un moteur clé de l’économie canadienne car leurs retombées stimulent la croissance d’autres secteurs. Toutefois, les populations locales subissent les impacts négatifs de ces activités qui transforment le paysage et fragilisent les écosystèmes. Le maintien d’un équilibre entre les impacts locaux sur l’environnement et les bénéfices du développement sur l’économie constitue sans doute le plus grand défi de la région.
Ce défi est exacerbé par la crise environnementale et le réchauffement climatique, sans oublier la question des dynamiques discursives qui sont hautement structurantes pour le Nord canadien. Ce dernier, en plus d’être un espace physique, constitue un espace imaginaire longtemps appréhendé à partir du Sud et dans le cadre d’interactions néocoloniales. Ainsi, sa perception peine à se défaire d’un certain « norientalisme », de l’idée d’un Nord qui ne serait qu’une création du Sud (Desbiens, 2015, en référence à Edward Saïd, 1978), ce qui l’enferme dans une logique binaire. Toutefois, cette perception est de plus en plus remise en question. Loin d’être un « désert de glace » qui n’existerait que pour la conquête par les explorateurs, missionnaires, prospecteurs et chefs d’État, le Nord est un espace intime, vivant, abondant pour les peuples autochtones qui l’ont humanisé depuis de nombreuses générations (Collignon, 1996 ; Dorais, 2008 ; Makivik, 2013).
En 1975, le géographe québécois Louis-Edmond Hamelin tentait de saisir la complexité des interactions entre les dynamiques matérielles et discursives du Nord avec un simple mot : la « nordicité ». Hautement pragmatique, ce néologisme désignait le « niveau polaire dans l’hémisphère boréal » ; ce dernier était mesuré par l’indice « VAPO » (pour « valeur polaire », Hamelin, 1975). Mais la nordicité désigne aussi un ensemble de perspectives mentales et de modes de connaissance sur cette région. Dans son ouvrage Canada and the Idea of North (2002), Sherrill Grace partait des travaux de Hamelin pour explorer la formation conjointe d’un espace et d’une identité nationale canadiens à travers les manières de penser et de représenter cette aire géographique, pourtant aussi diversifiée que les populations qui l’habitent. La construction idéelle du Nord canadien serait donc un système culturel et politique travaillé par les arts et les institutions gouvernementales au Canada méridional : ainsi, la culture non-autochtone du Sud imposerait ses propres représentations du Nord. Pour sortir de cette appropriation par le Sud, il faut replacer au premier plan les points de vue des cultures autochtone et inuit sur leur propre espace (Chartier, 2008).
Dans cette optique, il serait plus juste de parler non pas « du Nord » mais « des Nords » canadiens, tant les modes d’appréhension de cette réalité sont multiples. Du point de vue de la géographie régionale, le Nord est divisé en six territoires. À l’ouest, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest comportent, outre des Inuit, des peuples des Premières Nations (Gwich'in, Dénés, Métis du Sahtu, Dehcho, Tlichos, Akaitcho). Les quatre autres, l’Inuvialuit, le Nunavut, le Nunavik[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Caroline DESBIENS : professeure titulaire, département de géographie de l'université Laval, Québec (Canada)
Classification
Média
Autres références
-
CANADA, économie
- Écrit par Serge COULOMBE
- 7 923 mots
Le vaste ensemble du Nord canadien (Yukon, Territoires du Nord-Ouest et Nunavut) est très peu peuplé (133 000 habitants en 2016). L’exploitation de ses importantes ressources minières, pétrolières et gazières est freinée par la rigueur du climat et le coût élevé du transport. Les administrations des... -
CANADA - Espace et société
- Écrit par Anne GILBERT
- 12 678 mots
- 5 médias
Le Nord correspond à l’ensemble formé par les trois territoires du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. On pourrait y inclure aussi le Nunavik, au nord du Québec, qui partage plusieurs caractéristiques et aspirations du Nunavut voisin, voire de la partie septentrionale de toutes les... -
HAMELIN LOUIS-EDMOND (1923-2020)
- Écrit par Caroline DESBIENS
- 1 353 mots
Connu comme le « père de la nordicité », Louis-Edmond Hamelin est une figure marquante de la géographie québécoise et canadienne. Son parcours transdisciplinaire, sa pensée humaniste, son engagement pour les peuples autochtones, de même que sa vision holistique de la géographie caractérisent...