MAILER NORMAN (1923-2007)
Une saison en enfer
Le succès vint, fulgurant comme il peut l'être en Amérique, avant que Norman Mailer ait trouvé sa voix ou son rythme. Suivit alors un long passage à vide, et beaucoup donnèrent Mailer pour fini, l'auteur d'un roman à succès qui ne parviendrait jamais à se hisser à nouveau à la hauteur de son premier exploit. Il aurait été facile de faire carrière commerciale dans la même veine d'ancien combattant : Norman Mailer choisit de se tailler de nouveaux chemins, et pour cela il faut opérer comme « une lobotomie du passé ». Rivage de Barbarie (Barbary Shore, 1951) est l'histoire d'un amnésique à la dérive, un « étranger », un homme du souterrain qui, dans le meublé sordide de Brooklyn où il est venu pour écrire un roman, cherche une éthique de survie dans un monde où la guerre continue sous un autre visage, un monde retournant à la barbarie, toutes illusions politiques (et en particulier celles de 1917) effondrées. Dans Le Parc aux cerfs (The Deer Park, 1955) s'affirme encore la parenté profonde de Mailer avec Hawthorne et Melville, sa manière chirurgicale d'empoigner le nœud de vipères qui se loge au cœur obscur où se nouent les passions. Chronique du déclin d'un cinéaste mis sur la « liste noire » maccarthyste et qui glisse vers la stérilité, le roman est dominé par la figure perverse de Marion Faye, gourmet du mal, pourvoyeur en plaisirs, prince d'un monde où toutes sources vives se sont taries.
Mailer traverse alors une phase mouvementée de sa vie privée. Se lançant à corps perdu dans les nuits de la bohème de Greenwich Village, il se soucie moins désormais d'être un romancier qu'une sorte de prophète : comme D. H. Lawrence, il veut repousser les frontières de l'expérience, être le « mineur de fond » des strates enfouies, le sourcier des émotions que l'État totalitaire veut tuer à petit feu derrière les barbelés. L'influence de Wilhelm Reich, celle de l'existentialisme viennent se greffer sur le mythe américain de la « frontière » pour donner cette sorte de manuel de survie dans la cité de la nuit et la jungle d'asphalte qu'est The White Negro (1957) où Mailer esquisse le portrait d'une sorte de dandy pour notre temps, jouant, sur le qui-vive, un jeu de poker avec le risque et la mort.
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
Classification
Média