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MAILER NORMAN (1923-2007)

Les voix de l'Amérique

À partir de 1959 et de la publication d'Advertisements for Myself, Norman Mailer amorce sa seconde carrière d'écrivain. À la première personne (mais le « je » qui parle là est un « je » construit à la manière de Whitman, un « je » théâtral et de bateleur), Norman Mailer, seul sur l'estrade, s'en prend à l'Amérique qui a stérilisé la vie créative : il faut marcher sur la lisière de la violence plutôt que l'exiler, l'interdire, l'anesthésier et la transformer en violence anonyme. Encerclés, il faut faire une brèche. Dans The White Negro, Mailer a trouvé sa brèche ; par elle il revient au roman avec Un rêve américain (An American Dream, 1965). C'est une sorte de thriller élisabéthain, à la limite du pastiche, tenant à la fois de Christopher Marlowe et de Dashiell Hammett. Rojack y étrangle sa femme, qui a fini par représenter pour lui l'ornière où il s'enlise, puis plonge dans le New York nocturne, dans la jungle, afin d'exhumer son moi primitif enfoui et, nu enfin au cœur de l'arène, sans le rempart des institutions, faire face à sa sauvagerie intime, échapper ainsi à la violence étatique. Rompant également avec la technique naturaliste de ses précédents romans, Mailer explore celle du monologue. Il la domine avec maestria dans Pourquoi sommes-nous au Vietnam ? (Why Are We in Vietnam ?, 1967) : ce récit d'une chasse au grizzli en Alaska retranscrit le vieux mythe américain (dans les terres sauvages, capturer l'animal quasi fabuleux) à travers une sorte d'opéra de voix, un kaléidoscope d'idiomes où l'on entend le continent entier dans sa diversité. Un disc-jockey, qui est peut-être un Noir de Harlem, infirme, cloué sur son lit, se met à l'écoute des voix qui montent de l'Amérique, qui disloquent le langage officiel, percent à travers sa sclérose pour faire du massacre technologique des ours sur la banquise une métaphore de ce qui se passe, à la même époque, au Vietnam : « Et maintenant, mesdames messieurs, amis et amants, vous tous qui croupissez dans le vaste cachot de l'Amérique, prenez-en de la graine... Ici D. J. champion des disc-jockeys, qui vous a parlé d'Amérique, Vietnam, bourbier d'enfer. »

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

Classification

Média

Norman Mailer - crédits : Michael Brennan/ Getty Images

Norman Mailer