MAILER NORMAN (1923-2007)
Reportages et mythologies
La chronique à la première personne de l'Amérique, Norman Mailer, depuis 1959 lorsque à trente-six ans il dressait le bilan de sa vie, l'a encore approfondie et amplement orchestrée. Fou du roi dans The Presidential Papers (1963), il traduit à travers un moi pluriel de son invention tous les détails de la vie américaine, filtrant l'histoire en train de se faire à travers sa propre sensibilité, luttant ainsi contre l'anesthésie du langage par les médias et la presse officielle. À l'époque du White Negro, Norman Mailer avait été le compagnon de route des beats ; à partir de 1967, il devient le plus étonnant représentant de l'école du « nouveau journalisme ». Le 21 octobre 1967, il participe à la manifestation qui se déroule à Washington contre la guerre du Vietnam et publie en 1968 le récit Les Armées de la nuit (The Armies of the Night) où le rebelle solitaire retrouve ses fantasmes anciens, seul face au Pentagone, centre du pouvoir technocratique et militaire, errant dans le monstrueux labyrinthe des couloirs sans trouver personne qui d'homme à homme soit responsable en son nom propre du napalm. L'été 1968, il suit de la moiteur de Miami au « charnier de Chicago » les péripéties de la campagne électorale et publie Miami et le siège de Chicago, portrait parfois lyrique de l'Amérique, de sa sauvagerie, de sa diversité, de ses vastes paysages. En juillet 1969, Mailer se souvient qu'il a été ingénieur en aéronautique ; son reportage sur le lancement d'Apollo-12, Bivouac sur la Lune (Of a Fire on the Moon, 1969) est écrit depuis l'intérieur du ventre de ce Léviathan qui l'obsède : la N.A.S.A. a remplacé ici le Pentagone, mais derrière, c'est toujours, comme dans Les Nus et les Morts, l'ombre de Moby Dick qui se profile. Qu'il évoque Marilyn Monroe (Marilyn, 1973), analyse les graffiti du métro de New York, assiste au combat entre Muhammad Ali et Joe Frazier (On the Fight of the Century, 1971), réplique au mouvement féministe qui l'a pris, avec Henry Miller, comme cible (The Prisoner of Sex, 1971), qu'il s'interroge sur l'assassinat du président Kennedy ou sur la guerre d'Irak, il n'y a pas de meilleur journaliste en Amérique. Sa fertilité grandiose, sa verve élisabéthaine ont donné à la langue anglaise des bonheurs qu'elle n'avait pas connus peut-être depuis D. H. Lawrence.
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
Classification
Média