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NORME ET USAGE (linguistique)

Il n'est pas de langue qui ne donne lieu à une diversité d'usages, comme en témoigne l'observation des pratiques langagières des locuteurs. Les façons de parler sont diversifiées selon le temps (changements diachroniques résultant de l'évolution de la langue), l'espace (variations géographiques dites diatopiques – dialectes et patois), les caractéristiques sociales des locuteurs (variétés dites diastratiques), et les activités qu'ils pratiquent (variétés dites diaphasiques ou de registres de langue, en fonction des situations et du caractère écrit ou oral du canal).

Norme et description

Face à cette hétérogénéité, la tradition grammaticale a, pour l'essentiel, adopté une attitude que l'on peut qualifier de normative : l'objectif étant d'imposer une norme, c'est-à-dire d'édicter le bon usage de la langue, conforme à un certain idéal esthétique ou socioculturel historiquement situé. Dans une telle perspective, certains usages de la langue – en l'occurrence ceux des classes sociales dominantes – sont jugés corrects, alors que d'autres sont rejetés comme incorrects, impurs ou vulgaires. C'est donc la langue telle qu'elle devrait être – et non telle qu'elle est effectivement – que décrivent les grammaires normatives, à l'exemple des Remarques sur la langue française de Vaugelas (1647). Cette tradition se retrouve encore à l'heure actuelle dans la pratique pédagogique française, pour laquelle l'étude de la grammaire passe par l'apprentissage de la correction grammaticale et l'élimination des fautes de français, c'est-à-dire des usages prohibés.

La linguistique, en tant que discipline scientifique, s'est démarquée dès la fin du xixe siècle de cette tradition normative en se donnant un objectif purement descriptif, dénué de tout souci prescriptif. Déjà la linguistique historique avait montré que les évolutions de la langue trouvent souvent leur origine dans des usages populaires ou patoisants qui, une fois devenus usuels, finissent par être consacrés comme des emplois corrects. De leur côté, des linguistes comme Herman Paul ou Ferdinand de Saussure ont été conduits à voir dans l'analogie à l'œuvre dans les parlers populaires ou enfantins, non pas une infraction à une norme idéale, mais au contraire l'un des procédés fondamentaux de la langue. Par ailleurs, Henri Frei s'est employé à retrouver derrière les prétendues fautes de langage des mécanismes identiques à ceux qui sous-tendent le langage dit correct (Henri Frei, Grammaire des fautes, 1929).

Mais le rejet de tout jugement de valeur subjectif sur les usages n'a pas pour autant conduit la linguistique à retenir comme objet d'étude la variété et l'hétérogénéité des usages de la langue : qu'il s'agisse de la « langue » de Saussure ou de la « compétence » de Noam Chomsky, l'objet du linguiste se présente comme un système homogène. C'est alors un autre type de norme qui se trouve, de fait, convoqué : non pas une norme subjective fondée sur un jugement de valeur (le normé), mais une norme objective qui renvoie à l'usage commun et courant de la langue (le normal), censé faire l'objet d'un consensus de la part des locuteurs.

D'où la possibilité pour le linguiste de décrire la langue en termes d'un système de règles permettant, comme le fait la grammaire générative de Chomsky, de caractériser l'ensemble infini des phrases grammaticales – c'est-à-dire bien formées syntaxiquement –, par opposition à l'ensemble des phrases agrammaticales – mal formées syntaxiquement –, ainsi que l'ensemble des phrases sémantiquement bien formées par opposition aux phrases dépourvues de sens. La notion de correction syntaxique ou sémantique n'est[...]

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