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NORME SOCIALE

La formation des normes

Mais pourquoi les normes varient-elles, et comment interpréter leur mise en place et leur évolution ? À cet égard, la tradition des sciences sociales a été marquée par l'influence du positivisme, avec l'opposition entre fait et valeur : la science met en évidence les lois régissant les faits, elle n'émet pas de jugements de valeur. Comment rend-elle compte alors de l'émergence des normes reposant sur des valeurs dans les sociétés ?

À la limite, l'analyse refusera de se prononcer sur l'origine de ces normes, se contentant de mettre en évidence l'existence d'ensembles culturels variés, structurés de manière interne mais incommensurables. L'anthropologie tend fréquemment à adopter cette position qui peut être interprétée en termes relativistes. La mise en évidence du caractère arbitraire des normes peut favoriser leur interprétation comme moyen de domination d'un groupe sur un autre.

Pourtant, l'effort d'explication des grandes normes sociales a tendu à revêtir fondamentalement trois grands aspects. Dans une première tradition, associée au nom de Durkheim, les normes sociales s'expliquent par les réquisits propres aux nécessités de l'organisation sociale, qui exige en particulier une cohésion, ou une solidarité entre ses membres, pour dépasser les inévitables conflits d'intérêts. Dans le prolongement de ce courant d'analyse se situent toutes les explications fonctionnalistes qui font reposer l'existence des normes sur des contraintes du système social, indépendamment des décisions individuelles.

Par contraste, les explications naturalistes insistent plutôt sur la convergence de certaines normes dont le respect est alors directement attribué à une nature humaine, cette dernière faisant elle-même l'objet d'une description évidemment plus ou moins univoque. Chez Vilfredo Pareto par exemple, c'est en fonction de la nature humaine que l'on peut observer aussi bien des propensions à agir selon son intérêt que des propensions à l'altruisme. Les différentes normes mises en place reflètent ces différents aspects fondamentaux de la nature humaine. L'interprétation naturaliste des normes a connu un regain d'intérêt avec le succès du néo-darwinisme, qui considère les émotions humaines (par exemple la culpabilité) comme des mécanismes naturels sélectionnés dans une évolution et favorisant la coordination et le respect des normes.

Enfin, un troisième style d'analyse, présent aussi bien dans la tradition des sciences sociales que dans leur pratique contemporaine, tend à interpréter les normes à partir de différentes motivations préalables dont la poursuite est associée à l'idée de rationalité. Dans la tradition héritée de la philosophie des Lumières, les normes sociales procèdent souvent de l'intérêt que les individus ont à les adopter. Cette référence à l'intérêt a donné lieu à des tentatives de systématisation de l'interprétation des normes. Pourtant, deux difficultés typiques interviennent : d'une part, il semble difficile d'expliquer entièrement par l'intérêt (en le réduisant à son sens économique) le respect de certaines normes (l'intérêt égoïste incitant plutôt à la tricherie et à la transgression et ne rendant pas compte des sentiments moraux proprement dits) ; d'autre part, la diversité des intérêts fait que le recours explicatif à ceux-ci est souvent tautologique. C'est pour cela que, dans la tradition de la sociologie compréhensive, la recherche du sens des actions joue un rôle déterminant dans l'explication des normes, sans que cette notion de sens, et la rationalité qui peut lui être associée, soit réductible à la recherche de l'intérêt individuel.

— Pierre DEMEULENAERE

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