NORVÈGE
Nom officiel | Royaume de Norvège |
Chef de l'État | Le roi Harald V - depuis le 17 janvier 1991 |
Chef du gouvernement | Jonas Gahr Støre - depuis le 14 octobre 2021 |
Capitale | Oslo |
Langue officielle | Same (Langue officielle localement.) , Norvégien (nynorsk et bokmål) |
Population |
5 519 594 habitants
(2023) |
Superficie |
384 482 km²
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Article modifié le
La littérature
Les rigueurs de l'Histoire ont fait grand tort à la Norvège, qui n'est parvenue à créer une littérature de premier ordre que depuis un siècle et demi. Elle ne réussit pas à résoudre un problème linguistique qui complique grandement toute approche. Pourtant, elle possède quelques-uns des plus grands écrivains qu'ait comptés le nord de l'Europe.
Les débuts, jusqu'à la Réforme
Les premiers documents « écrits » remontent au ive siècle de notre ère : ce sont les inscriptions runiques égaillées sur tout le territoire norvégien. Simplement commémoratives ou obscurément magiques, concises jusqu'à l'énigme ou hautement élaborées, elles témoignent par leur versification évoluée de l'existence d'une poésie primitive orale de qualité, faite sans doute de proverbes, d'énigmes allitérées, de chants de conjurations (galdrar) et d'hymnes. Surtout, certaines attestent que les genres eddiques faisaient florès bien avant l'âge d'or islandais et que l'art raffiné des scaldes a pu naître sur le sol norvégien. Étaient norvégiens, en effet, le plus ancien scalde connu, Bragi Boddason (première moitié du ixe s.), auteur de la Ragnarsdrápa, ainsi que Þjódólfr de Hvín (début du xe s.), qui composa Haustlöng(Longueur d'automne) et Ynglingatal (Dénombrement des Ynglingar), Þorbjörn Hornklofi (début du xe s.), auteur d'un Haraldskvaedi, et Eyvindr Skáldaspillir (v. 915-v. 990), qui a laissé un Hákonarmál(Dit de Hákon) et un poème généalogique, Háleygjatal.
À partir du xie siècle s'établit la grande communauté culturelle Islande-Norvège, où il est difficile de démêler ce qui revient à un pays plus qu'à l'autre, encore que ce soient presque toujours des Islandais, semble-t-il, qui aient rédigé ou consigné les textes que nous connaissons. Pourtant, il est probable que certains poèmes de l' Edda sont, tout ou partie, d'origine norvégienne, notamment les Hávamál, les Grimnísmál, les Vaflthrudnísmál, l'Atlakvida, les Hamdismálet la Völundarkvida.
Christianisée à partir de 1000, la Norvège adopte l'alphabet latin et entreprend la rédaction de codes de lois et de chroniques historiques ou de vies de saints sous l'impulsion de ses évêques, autour de quelques monastères actifs. Dès 1170 environ, l'archevêque Eysteinn de Nidarós (Trondhjem) compose une Passio et miracula beatiOlavi ; avec un savoureux recueil d'homélies en langue vulgaire (Gammel norsk homiliebok, v. 1200), c'est le point de départ d'une abondante production hagiographique (Postolasögur, Heilagramannasögur). Un moine, Þjódrekr (Theodoricus), écrit, avant 1200, une Historia Norvegiae(v. 1180) et un ÁgripafNóregskonungasögum(v. 1190, Abrégé des histoires des rois de Norvège). Ces précisions sont importantes. On a coutume de s'extasier, à bon droit, sur le « miracle islandais ». Et certes la production littéraire de l'île dépasse, en quantité comme en qualité, tout ce qui s'est fait sur le continent à égalité d'époque. Mais on ne saurait oublier que les fondateurs (les colonisateurs) de l'Islande furent en majorité des Norvégiens, et qu'ils y apportèrent leur culture, leurs traditions, leurs textes aussi bien.
Sous l'influence du roi Hákon Hákonarson (1204-1263), la Norvège se tourne résolument vers l'Europe, la France surtout, ce qui lui vaut une littérature abondante, imitée et souvent directement traduite de la littérature française de cour et de chevalerie. De cette importante production, deux chefs-d'œuvre émergent : l'anonyme Konungsskuggsjá(v. 1250, Speculum regale), composé à la manière des Miroirs chers à l'époque, et le Draumkvaedi(Poème du rêve), également anonyme, qui pourrait remonter à 1300 et ressortit au genre de visions poétiques du Paradis et de l'Enfer. Même si ce sont des Islandais qui, pour la plupart, ont satisfait les désirs de Hákon en matière de littérature, il est très probable que l'exemple est souvent venu de Norvège. Pour ne prendre qu'un exemple, le célèbre Frère Robert qui traduisit-adapta le Tristan de Thomas pour en faire la Tristrams saga ok Isöndar, était vraisemblablement un Norvégien.
Avec le passage, en 1380, sous la domination danoise cesse ce que Hans E. Kinck a appelé l'« époque de la grandeur » norvégienne. Presque quatre siècles de demi-silence vont suivre. Silence, à vrai dire, de l'élite seulement, car le peuple norvégien continuera de témoigner d'une activité poétique et conteuse dont on ne s'avisera de relever l'intérêt qu'au xixe siècle romantique. À la veillée, aux jours de fêtes, dans les assemblées, on se répète les folkeviser, strophes, ballades, danses au rythme simple, aux thèmes naïfs où l'on évoque les trolls, les champions du temps passé, qu'ils sortent du fond local ou reprennent des motifs communs à toute l'Europe. Ou bien ce sont des steve, petites improvisations lyriques (on en a dénombré quelque vingt mille) sur la beauté de la femme aimée, le charme des forêts, la saveur de vivre. Enfin, il y a les eventyr, contes fantastiques en prose, où le réalisme tient à un décor de nature typique et à une peinture des caractères qui évoque assez bien l'esprit des sagas islandaises. Le génie norvégien semble ainsi avoir accordé très tôt une place prépondérante au genre du conte, éventuellement poétique, mais en majorité narratif. La collection des contes populaires à laquelle travailleront les romantiques propose ainsi une quantité vraiment surprenante de textes, sans commune mesure avec ce qu'offre le reste de la Scandinavie.
De la Réforme au romantisme
La Réforme n'aura d'abord que peu d'effets sur la Norvège : venue du Danemark, elle ne faisait que renforcer le joug étranger. Le xvie siècle s'intéresse certes à l'humanisme, dans la mesure en particulier où il affectionne les inventaires de connaissances scientifiques, historiques ou géographiques, mais il se préoccupe beaucoup plus de nationalisme. Om Norgesrige (1567, Du royaume de Norvège) d'Absalon Petterssøn Beyer et la traduction, par Peder Claussøn Friis, de la Heimskringla de Snorri Sturluson (NorskeKongersChronica, 1663) définissent déjà les tendances de ce nationalisme – l'exaltation du passé glorieux en particulier – qui finiront par passer pour la coloration majeure de l'inspiration norvégienne.
Le xviie siècle ne verra qu'un seul écrivain de qualité, le pasteur Petter Dass (1647-1707), qui décrit poétiquement son pays dans le goût baroque (NordlandsTrompet, 1678-1698, Trompette du Nord) et commente Luther en vers.
Au xviiie siècle, les deux plus grands Norvégiens, Ludvig Holberg et Johann Wessel, écrivent toute leur œuvre en danois. Car le Danemark a agi en colonialiste sévère en Norvège, interdisant l'emploi de la langue norvégienne dans tous les actes officiels et contraignant l'intelligentsia à publier en danois. De leur côté, les cercles intellectuels sont à l'école des « philosophes » français. La Société de Trondhjem (fondée en 1760), puis la Société norvégienne (à partir de 1772) diffusent une foi dans la vérité universelle, un culte de la raison qui remontent tout droit à Voltaire.
Ce sont les événements qui se chargeront de précipiter le cours des choses. Les bouleversements introduits dans les affaires européennes par Napoléon provoquent la fondation d'une Université norvégienne à Kristiania en 1811, puis la dissolution de l'union avec le Danemark en 1814. Cédée à la Suède, la Norvège ne lui est plus rattachée que par la personne du roi. Si les deux pays ont une politique étrangère commune, ils ont des administrations différentes.
Il n'en faut pas davantage pour provoquer une vague de nationalisme qui prend l'allure d'une forte poussée libérale. La gauche norvégienne, à l'époque, s'efforce de revenir aux sources nationales, surtout en recréant une langue originale. Deux grands noms dominent cet âge effervescent.
Le premier est Henrik Wergeland (1808-1845), chez qui luttes politiques et activités littéraires sont inséparables. Ce poète, dramaturge, historien et essayiste fougueux, trouva le moyen d'être à la fois un rêveur épique (Digte, 1829 et 1834, Poèmes) et un visionnaire (dans son chef-d'œuvre Skabelsen, MennesketogMessias, 1830, La Création, l'homme et le Messie, où il dépeint l'affrontement manichéen des forces fécondes de la vie avec les puissances de la mort, et aussi dans les rêveries fantastiques de Jan van Huysumsblomsterstykke, 1840 (Les Fleurs de Jean van Huysum), un historien romantique passionné de Herder, un polémiste humanitaire plaidant pour les humbles, l'indépendance et la démocratie (dans le diptyque Jøden, 1842, Le Juif, et Jødinden, 1844, La Juive), et un idéaliste platonicien. Le romantisme scandinave a le plus souvent échappé à l'attention des critiques français. Pourtant, le Danois Œhlenschläger, le Suédois Geijer, et Wergeland en premier lieu, manifestent une remontée vers l'expression d'un génie original qui connaîtra tout son éclat avec la « percée » moderne à venir.
Johan Sebastian Welhaven (1807-1873), qui fut d'abord l'ami de Wergeland, lui fait parfaitement antithèse. S'il fut attaché lui aussi à la cause norvégienne, il ne put se résoudre à rompre avec la tradition danoise. Norgesdœmring (1834, Le Crépuscule de la Norvège) fait une mordante satire de la société norvégienne, ignorante et satisfaite d'elle-même. Il résoudra le dilemme en luttant pour le scandinavisme, tout en puisant parfois son inspiration dans la poésie populaire et dans un certain romantisme national (Reisebillederogdigte, 1851, Images de voyages et poèmes ; En Digtsamling, 1859, Un recueil de poèmes). On retient surtout de cette œuvre une poésie élégante qui recherche la rigueur classique (Digte, 1838, Poèmes) pour chanter mélancoliquement des amours tragiques (NyereDigte, 1844, Nouveaux Poèmes) ou exalter d'abord un panthéisme à la Schleiermacher, puis le christianisme.
Ainsi se trouve clairement posé le problème fondamental des lettres norvégiennes modernes : celui de l'affrontement des « deux cultures », la danoise chère aux élites, l'autochtone léguée par le passé lointain et entretenue par le petit peuple des paysans et des pêcheurs.
Celle-ci va se trouver brusquement remise à l'honneur par les travaux d'historiens et de folkloristes remarquables. C'est l'historien P. A. Munch (DetNorske folks Historie, 1851-1863, L'Histoire du peuple norvégien) et surtout Jørgen Moe (1813-1882) et Peter Christen Asbjørnsen (1812-1885), qui éditent ensemble de 1841 à 1871 des NorskeFolkeeventyr (Contes et légendes populaires de Norvège), tandis que M. B. Landstad recueille des NorskeFolkeviser en 1852-1853 et qu' Ivar Aasen (1813-1896), instituteur rural et philologue autodidacte, lui-même poète et dramaturge, compose une grammaire et un dictionnaire du norvégien populaire. Voici fondée la langue écrite que cherchait le « norvégianisme », cet amalgame de parlers populaires dialectaux, de tournures archaïques, auquel on donnera le nom de landsmål, puis de nynorsk ou néo-norvégien. Désormais, les assises d'une littérature en langue originale sont posées. Qui plus est, le départ est donné à un vaste mouvement d'études du peuple dont bénéficiera largement la littérature, tandis que paysans et pêcheurs, devenus symbole de la nation, se trouvent incarnés dans une floraison de types pittoresques et drus, aimant l'humour vert et le fantastique. Tout proches des forces de la nature : de Peer Gynt au Mattis des Oiseaux de Tarjei Vesaas en passant par les Gens de Juvik de Olav Dunn, c'est le type littéraire norvégien qui est sorti, vivant, de ces recueils. Ivar Aasen et Aasmund Olafsson Vinje (1818-1870) ayant d'emblée doté cette langue nouvelle de ses premières œuvres de qualité, la porte s'ouvre sur un nouvel âge d'or des lettres norvégiennes.
Réalisme et naturalisme (1850-1890)
L'époque qui suit voit d'importants changements économiques et sociaux. Il en résulte de vives luttes politiques, paysans et classe moyenne fortement nationalistes s'opposant à une droite royaliste et unioniste. En 1884, la gauche accède au pouvoir et introduit le parlementarisme dans les mœurs. C'est aussi le moment où la Norvège s'ouvre aux influences extérieures. Positivisme, rationalisme, utilitarisme et darwinisme marquent les esprits autant que le réalisme, puis le naturalisme français. Ici comme ailleurs dans le Nord, le rôle décisif aura été joué par le Danois Georg Brandes, responsable de la « percée » de la modernité en Scandinavie. Il se fit le défenseur de tout ce qui tendait vers le rationalisme en battant en brèche les dispositions naturelles à la religion ou au mysticisme. Sur le plan purement dialectique, il ne faisait que reprendre les attitudes de S. Kierkegaard en se plaçant dans le droit fil de son intransigeance radicale : Ibsen s'en souviendra. Et d'un point de vue pédagogique, un autre Danois, N. F. S. Grundtvig, allait trouver de profonds échos en Norvège, en s'efforçant de concilier culture populaire, « inviscération » dans le passé national et religion attachée aux actes plus qu'au dogme.
Car la société norvégienne était curieusement crispée sur des valeurs politiques, éthiques et religieuses anciennes. Et l'on peut dire que l'effort principal des grands écrivains qui débutent après 1855 sera de l'en arracher. C'était heurter de front un obstacle de taille : cette réserve farouche caractéristique des peuples du Nord ; la volonté de passer outre entraîne trop souvent l'excès : individualisme forcené, exaltation démesurée de l'énergie, manque de nuances, tout ce qu'exprime si bien le « tout ou rien » de Brand, le héros d'Ibsen.
C'est la romancière Camilla Collett (1813-1895), sœur de H. Wergeland, qui ouvre le feu. Féministe ardente, mi-réaliste, mi-romantique, elle attaque de front les conventions sociales dans AmtmandensDøttre (1854-1855, Les Filles du préfet) : ce n'est ni le milieu ni le monde masculin qui doivent décider du mariage, mais l'amour seul de la femme.
Avec Ibsen (1828-1906), poète et dramaturge, les tendances nouvelles se trouvent haussées d'un coup au niveau du génie. De premiers essais tirés du fond national parviennent difficilement à l'imposer. S'y trouvent incarnés, déjà, le fond de cette pensée : élans vers l'idéal, dégoût du médiocre et l'un des grands thèmes de toute l'œuvre, la lutte déchirante entre le désir de remplir sa vocation et le doute corrosif. Exilé volontaire – et pendant vingt-sept ans ! – en Italie, puis en Allemagne, Ibsen décide d'écrire pour guider son peuple et lui donner le goût de la grandeur. Il lui dit qu'il faut tout sacrifier à la vocation, que « l'esprit de compromis, c'est Satan » et qu'« il est vain d'aider un homme qui ne veut rien que ce qu'il peut ». De cette exaltation forcenée de l'énergie, de l'individualisme et de la volonté, il donne une épreuve positive, Brand (1866), puis deux négatives, Peer Gynt (1867) et De UngesForbund (1869, L'Union des jeunes), qui marque aussi un infléchissement de l'inspiration vers des considérations politiques et sociales. Commence alors la période des drames dits contemporains parce que les sujets sont pris dans l'actualité, bien que, sous des dehors réalistes, Ibsen y mêle des théories sociales et politiques à des considérations philosophiques souvent traduites par un symbolisme élaboré. Une vingtaine de pièces luttent pour « l'esprit de liberté et de vérité » tout en imposant des personnages exceptionnels (Fruen fra havet, 1888, La Dame de la mer ; HeddaGabler, 1890). Un point de départ pris dans la réalité, des théories souvent révolutionnaires servies par des héros attachants, un art fait d'économie, de rigueur et de plasticité : la formule restera en application jusqu'à la fin. Mais on s'égarerait à vouloir y trouver l'expression d'un dogmatisme triomphant : Ibsen restera toute sa vie travaillé par le doute et, si les Norvégiens de son temps avaient besoin de la rude leçon d'énergie qu'il leur inculqua, son sens du tragique, son angoisse devant le mystère de la vie et de l'amour valent pour tous les temps.
Ces hésitations ne sont pas le fait de son contemporain, Bjørnstjerne Bjørnson (1832-1910), plus actif, beaucoup moins nuancé mais aussi plus conscient de l'urgence de son rôle politique et pédagogique. Plus romantique que réaliste, il engagea toute sa vie dans le combat pour un libéralisme anti-suédois, un scandinavisme exacerbé par la défaite danoise de 1864, un souci d'éducation populaire nourri du Danois Grundtvig. Il n'aura cessé d'exalter son peuple : dans des romans paysans comme SynnøveSolbakken (1857), des drames historiques au style coloré (Sigurd Slembe, 1862), des drames bourgeois (De Nygifte, 1865, Les Nouveaux Mariés ; En Fallit, 1875, Une faillite ; En Hanske, 1883, Un gant) où il défend souvent les mêmes thèses qu'Ibsen : émancipation de la femme, exécration de la prétendue morale bourgeoise ; des romans réalistes comme Magnhild (1877) et des poèmes épiques d'une magnifique venue (ArnljotGelline, 1870).
Au fond de cette pensée, il y a une énergie farouche qui se cherche un but : est-ce la religion ? Au-delà des forces I (Over oevne, førstestykke, 1883) répond non : vivre pleinement sa foi est au-dessus des forces humaines. Alors, le socialisme ? Au-delà des forces II (1895) émet quelques doutes. Cette œuvre a joué un rôle de premier plan dans la formation de la Norvège moderne.
Plus marqué encore par les courants d'idées de son temps, plus subtil aussi est le romancier Jonas Lie (1833-1908), dont l'œuvre abondante oscille entre réalisme social et irrationnel. Ce dualisme existe dès sa première œuvre, Den FremsynteellerBilleder fra Nordland (1870, Le Voyant, ou Images du Nordland), et ne se démentira pas. Ici, il se penche sur les problèmes sociaux, dans FamiljenpaaGilje (1883, La Famille de Gilje) en particulier, son chef-d'œuvre qui vilipende le mariage forcé et la sujétion de la femme ; là, il s'attache à l'analyse pénétrante de conflits spirituels (Lodsenoghanshustru, 1874, Le Pilote et sa femme), insistant sur les « puissances mauvaises » (Onde Magter, 1890) qui dévoient l'être humain. La même hésitation entre réalisme un peu prédicant et psychologie des profondeurs marque le roman Tora Trondal de Kristian Elster (1814-1881).
Romancier également et auteur de nouvelles, Alexander L. Kielland (1849-1906), démocrate radical et libre penseur, s'en prend aussi à la société, à ses injustices, à la mauvaise conscience des riches, à la crispation sur des conventions et des traditions mortes. Garman & Worse (1880), son chef-d'œuvre, dépeint la lutte de l'individu naturel et sain contre la civilisation malade, la masse veule, l'autorité injuste. Mais, surtout, Kielland dispose d'un style sans équivalent en Norvège, léger, gracieux, souriant, ironique, qui triomphe dans la nouvelle où il n'a pas de rivaux (Novelletter, 1879 et 1880).
En revanche, Amalie Skram (1846-1905) est beaucoup plus proche du naturalisme, dont elle retient et les principes d'écriture et la vision sombre de la vie. Constance Ring (1885) présente une héroïne mal-aimée et mal aimant. La fresque, plus épique que naturaliste, de Hellemyrsfolket (1887-1898, Les Gens de Hellemyr) dépeint avec pessimisme la force coercitive de l'atavisme sur quatre générations successives. Tempérament inquiet, Skram se rapprochera de l'éthique chrétienne et de l'impressionnisme dans ses derniers écrits. Évolution qui amorce un ton nouveau, parfaitement reflété par l'œuvre chatoyante d'Arne Garborg (1851-1924), dont le premier ouvrage, EinFritenkjar (1878, Un libre penseur), prêche la tolérance religieuse, tandis que le second, Bondestudentar (1883, Étudiants-paysans), défend l'amour libre. L'essentiel de l'apport de Garborg tient à une recherche inlassable d'une religion de la bonté, de la joie et de l'action altruiste TrœtteMœnd (1891, Hommes fatigués), qui culmine dans le recueil de poèmes Haugtussa (1895, Le Troll des collines), fleuron épique de la littérature en néo-norvégien. Il convient d'ajouter que Garborg est le tout premier très grand écrivain norvégien à avoir rédigé son œuvre en landsmaal (« parler des campagnes » – aujourd'hui nynorsk, ou néo-norvégien). Il aura de la sorte donné ses lettres de noblesse à cette variante du norvégien, ce qui ne signifie pas que le nynorsk ait réellement remporté le combat contre la langue pratiquée par Ibsen, Hamsun, Undset, etc.
Les années 1890 sont d'ailleurs le moment où la Norvège littéraire sort de la phase militante pour prendre quelque complaisance à soi : ce que dit fort bien un livre à scandale publié en 1885, Fra Kristiania-Bohêmen (De la bohème de Christiania) de Hans Jaeger (1854-1910), apothéose de l'individualisme. Cet ouvrage ouvre une veine féconde qu'exploiteront avec grand bonheur bon nombre d'écrivains norvégiens, au premier rang desquels Knut Hamsun.
Le jeu du moi et des autres (1890-1914)
À partir de 1890 et pour quelque vingt-cinq ans, deux mouvements parallèles se dessinent. L'un, qui tient du néo-romantisme et du symbolisme, s'intéresse aux mystères de la psychologie humaine, aime la fantaisie en art, quête dans la nature et dans la culture toutes les formes possibles de religiosité. Le roman cède ici le pas au lyrisme, et le drame social à la rêverie poétique. L'autre, dicté par la prolétarisation accélérée des paysans et des pêcheurs, revient au réalisme pur, à la critique serrée de la société. La première tendance est représentée par Gunnar Heiberg (1857-1929), apôtre du relativisme et du tout-puissant désir (le drame Balkongen, 1894, Le Balcon) ; par les poètes Nils Collett Vogt (1864-1937) et Vilhelm Krag (1871-1933). Sigbjørn Obstfelder (1866-1900) chante la solitude, l'étrangeté, l'angoisse dans une langue originale (Digte, 1893, Poèmes) où vibrent les échos de Baudelaire et de W. Whitman. Mais s'il convient de mentionner encore tel bon essayiste comme Nils Kjaer (1870-1924) ou des romanciers régionalistes comme Peter Egge (1859-1959 ; HansineSolstad, 1925), Johan Bojer (1872-1959 ; Den Siste Viking, 1921, Le Dernier Viking) et Gabriel Scott (1874-1958 ; Kilden, 1918, La Source), cette tendance est dominée par Knut Hamsun (1859-1952) et Hans E. Kinck (1865-1926).
Le premier s'impose avec Sult (1890, Faim), qui décrit les états d'âme d'un individu qui s'inflige le supplice complaisamment entretenu d'une faim chronique parce qu'il sait que cet état est propice, chez lui, à l'éclosion d'états d'âme hallucinés, dominés par une fantaisie souveraine, qui n'ont plus rien à voir avec l'analyse psychologique traditionnelle mais ouvrent grande la porte à toutes sortes de rêveries et de fantasmes. C'est que Hamsun tenait qu'il n'est de véritable réalisme qu'intérieur : « Ce qui m'intéresse, c'est l'infinie variété des mouvements de ma petite âme, l'étrange originalité de ma vie mentale. » Faim connaîtra un succès considérable dans toute l'Europe et suscitera d'autres chefs-d'œuvre de la même eau comme Pan ou Mystères. Ces ouvrages demeurent célèbres et actuels à cause du personnage principal qu'ils nous proposent, ce vagabond asocial et désaccordé de tout, rêveur, amant de l'amour, réfugié dans un monde fictif qui reflète les désarrois de notre conscience moderne. Puis son inspiration prendra une coloration à la fois épique et idéologique : il entonne un hymne en l'honneur de la nature, et de la vie patriarcale du Nordland, tout en fustigeant le capitalisme, la société urbaine, dans une rage iconoclaste qui le mènera aux pires aberrations politiques. Mais l'humour et la tendresse sauvent toujours cette œuvre dionysiaque.
Hans E. Kinck, bien que, lui aussi, fin analyste du caractère, qu'il cherche à fonder sur la famille, la nature, le milieu culturel, bien que passionné comme Hamsun de vitalité juvénile, de nature saine en même temps que d'irrationnel et d'inconscient, est habité de voix contradictoires qui s'expriment discrètement en un style comme effacé. Il traite du combat de l'un (l'individu) contre le multiple (la société) dans Huldren (1892, La Houldre), oppose le paysan au citadin dans Ungt Folk (1893, Gens jeunes), le mystère au réalisme dans les nouvelles de Flaggermus-Vinger(1896, Les Ailes de la chauve-souris), la tradition au modernisme dans son chef-d'œuvre dramatique, Driftekaren (1908, Le Bouvier). Dualisme qui lasserait s'il n'y avait ce style probe et surtout un constant appel à la pitié pour ceux qui n'ont pu préférer l'amour de la vie à la crainte de la mort.
La seconde tendance, néo-réaliste donc, est d'abord le fait d'écrivains prolétariens qui appellent la comparaison avec Gorki pour le sens épique qu'ils ont de l'histoire du peuple, la fraternité rude qu'ils chantent. Ce sont Kristoffer Uppdal (1878-1961), Johan Falkberget (1879-1967) et Oscar Braaten (1881-1939). Mais là encore, deux grands noms dominent. D'abord Olav Duun (1876-1939), qui dépeint les luttes des paysans et des pêcheurs en changeant sans cesse de registre : épique, psychologique, lyrique, humoristique. Son dernier titre, Menneskeogmaktene (1938, Hommes et forces de la nature), résume son propos. Ensuite Sigrid Undset (1882-1949), romancière au tempérament épique qui aura poussé l'étude du féminisme dans ses derniers retranchements et, forte de sa conversion au catholicisme, aura doté le problème de ses véritables dimensions. Voyant dans le don total de soi le seul remède aux maladies du monde moderne, il lui appartenait de donner à ses généreuses idées le cadre d'un Moyen Âge merveilleusement reconstitué (Kristine Lavransdatter, 1920-1922 ; Olav Audunssøn, 1925-1926) ou d'un mysticisme altier (Den BrendendeBusk, 1929-1930, Le Buisson ardent).
On le voit : sauf exceptions, le ciel littéraire de Norvège est plein de beaux oiseaux mystiques et la prose n'y est jamais loin de la poésie épique. C'est aussi pourquoi la poésie connaît un regain considérable de faveur à cette époque. Herman Wildenvey (1886-1959) dans sesNyinger (1907, Feux de bois), Olaf Bull (1883-1933 ; Digte, 1909, Poèmes), Tore Ørjasaeter (1886-1968 ; Elvesong, 1932, Chant de la rivière), Olav Aukrust (1883-1929 ; Himmelvarden, 1916, Jalon du ciel) chantent avec une belle musicalité l'instant heureux, la joie de vivre, l'amour.
Entre engagement politique et tradition
La génération qui publie ses premières œuvres autour de 1920 se préoccupe beaucoup de politique, sous l'influence de la revue marxiste Mot Dag et de son rédacteur Erling Falk. Simultanément, elle s'intéresse à la psychanalyse freudienne. Le poète Arnulf Øverland (1889-1968) mêle ces deux tendances : Brødog vin (1919, Pain et vin) est d'inspiration communiste, Hustavler (1929, Tableaux domestiques) accumule les fines études psychologiques. Helge Krog (1889-1962) prolonge les thèmes ibséniens dans des drames élégants (Oppbrud, 1936, Départ). Le plus important est sans doute Sigurd Hoel (1890-1960), grand vulgarisateur des littératures étrangères, satiriste violent du monde bourgeois (Sesam, Sesam, 1938), avant d'écrire des manières d'études psychanalytiques sur le thème de l'amour trahi (Veientilverdensende, 1933, Le Chemin de la fin du monde), puis sur « l'angoisse des fautes oubliées qui s'étend comme une ombre sur notre vie » (Fjortendager for frostnettene, 1934, Quartorze Jours avant les nuits de gel). Moins engagés politiquement, mais tout aussi portés sur l'introspection et les problèmes moraux, Ronald Fangen (1895-1946) et Sigurd Christiansen (1891-1947) s'orientent, l'un vers le christianisme social (Borgerfesten, 1939, La Fête des bourgeois), l'autre vers une dialectique de la faute et du remords (Drømmenog livet, 1935, Le Rêve et la vie).
Vers 1930, la situation internationale aidant, la gravité, déjà évidente, des lettres norvégiennes s'accentue : une littérature d'action voit le jour, de plus en plus acharnée contre l'autorité, la tradition, le puritanisme. Son meilleur représentant, outre la romancière Cora Sandel (1880-1974), dont la trilogie romanesque défend avec finesse les droits de la femme à faire reconnaître sa différence, est le poète, romancier et journaliste Nordahl Grieg (1902-1943), qui rappelle beaucoup Saint-Exupéry. Après des débuts réalistes (Skibetgårvidere, 1924, Le navire poursuit sa route), il entreprend de lutter pour la justice et pour la paix en défendant les valeurs d'action : patriotisme, solidarité, foi en l'homme (Norge i vårehjerter, 1929, La Norvège dans nos cœurs, poèmes ; Våraereogvårmakt, 1935, Notre Honneur et notre puissance, drame).
Les influences étrangères (Kafka, Mauriac, Lawrence, Hemingway surtout) se font fortement ressentir dans les romans d' Aksel Sandemose (1899-1965) consacrés à l'étude des mobiles qui poussent un homme à commettre un crime (par exemple En flyktningkryssersittspor, 1933, Un fuyard croise sa trace). En revanche, l'inspiration du romancier Tarjei Vesaas (1897-1970) semble purement norvégienne. S'il fait le procès du monde moderne, c'est à travers un long chant épique consacré à son Telemark natal, où des héros angoissés, suicidaires et parfois simples d'esprit (Fuglane, 1957, Les Oiseaux) recréent au prix d'un symbolisme envoûtant le monde de mystères, de forces élémentaires, de complicité avec la nature et de tendresse que bafoue le matérialisme ambiant (Dei SvarteHestane, 1928, Les Chevaux noirs). Vesaas, qui, lui aussi, a rédigé toute son œuvre en nynorsk, est l'un des écrivains importants de la Norvège du xxe siècle. Notamment dans la mesure où il a tenté de vaincre l'un des obstacles majeurs qui se dressent devant une inspiration scandinave, la difficulté de dire, le triomphe sur le non-dit. C'est lui qui a écrit : « À qui parlons-nous lorsque nous nous taisons ? », une question qui résume fort bien toute une idiosyncrasie. Avec le poète Gunnar Reiss-Andersen (1896-1964 ; Norsk Røst, 1944, Voix norvégienne) et le romancier Johan Borgen (1902-1980) uniquement préoccupé d'arracher l'individu au conformisme (Nattog dag, Nuit et jour, nouvelles publiées en 1954), Vesaas représente bien l'éternelle Norvège, sans doute ouverte à toutes les faces de l'esprit, mais ne les envisageant jamais qu'à travers le prisme poétique d'une intense méditation personnelle.
À partir de la fin des années 1960, si la veine conteuse traditionnelle reste bien vivante – elle suscite, par exemple, des œuvres admirables comme celle de Johan Borgen (1902-1980) avec Petit-Lord (3 vol. 1955-1957) ou de Torborg Nedreaas (1906-1987), en particulier la souveraine Musique d'un puits bleu (1960) –, elle s'efface un peu derrière des productions poétiques inspirées directement par les violentes mutations du monde moderne – ainsi des expérimentations résolument concrètes de Rolf Jacobsen (1907-1994) ou de Jan Erik Vold – ou derrière les romans volontiers documentaires mais qui reviennent presque toujours à une réflexion en profondeur sur le socialisme et ses applications à la Norvège, tels que ceux de Jens Bjørneboe (1920-1976), dont Le Silence date de 1973, de Kjartan Flogstad (né en 1944) et surtout de Dag Solstad (né en 1941) dont le roman sur Le Professeur de lycée Pedersen (1982) est sûrement l'une des plus émouvantes analyses vécues des grands problèmes politiques qui harcèlent notre temps. Mais la poésie reste invincible. Donnons-en pour preuve l'œuvre, en dialecte, de Knut Ødegård (né en 1946) qui ressuscite, derrière les charmes de son Romsdal, l'âme antique de son pays.
Le plaisir de conter
On a vu qu'à la différence des autres littératures scandinaves la littérature norvégienne est restée marquée, ces dernières décennies, par les préoccupations politiques militantes. Il n'y a que peu de temps qu'elle tend à s'en dégager. La cause en est, évidemment, le processus d'industrialisation et d'urbanisation accélérées qu'aura connu ce pays traditionnellement très attaché à ses structures rurales ou « provinciales ». La revue Profil (fondée en 1965) défendit avec éclat des vues d'extrême gauche qu'illustrèrent bruyamment Tor Obrestad (1945-2020, Sauda ! Grève !, 1970 ; Allez-y !, 1976) ou Espen Haavardsholm (né en 1945, Les Bouches, 1968 ; Zink, 1971). Stein Mehren (1935-2017) élargit le débat en faisant le procès de notre « civilisation » (Les Titans, 1974). Demeure une rancœur contre une évolution effrénée, qui paraît stériliser l'inspiration immémoriale des successeurs de Bjørnstjerne Bjørnson, dans les romans de Knud Faldbakken (Glahn, 1985, qui renoue avec le Pan de Knut Hamsun) ou, plus récemment, de Jan Kjaerstad (né en 1953, Homo Falsus, 1986). Il en va de même dans un roman fort attachant de Bergljot Hobaek Haff : Moi, Bakounine, 1983. Le féminisme, agressif ici comme partout ailleurs dans le Nord, relève du même état d'esprit, par exemple dans les nouvelles de Bjørg Vik (1935-2018, L'Aquarium aux femmes, 1972) où se lit aussi une volonté de libération formelle, toujours au premier plan des centres d'intérêt.
Pourtant, la grâce d'écrire, de conter, de chanter n'a rien perdu de ses droits et retrouve une faveur sympathique dans l'œuvre multiforme du poète Jan Erik Vold (né en 1936) que pourrait résumer le titre de son recueil, Le Chagrin, le chant, le chemin (1987), ou dans la poésie, extrêmement originale, de Rolf Jacobsen (1907-1994) dont le souci constant est de lutter, dans des textes marmoréens, contre la dépersonnalisation ambiante (Ouvert la nuit, 1985). Kjartan Fløgstad cultive une évasion nourrie de poésie dans La Vallée de Portland (1977) et surtout dans U 3 (1983). Et, après Facettes (1962), Gunvor Hofmo (1921-1995) dote cette méditation d'une belle profondeur religieuse dans Les Étoiles et l'enfance (1985). On est en droit de préférer, pourtant, parce qu'elles s'inscrivent dans le droit fil de ce qui fut toujours le meilleur de l'âme norvégienne – il s'agit d'exalter l'enfant, le vagabond, le rêveur – l'œuvre de Herbjørg Wassmo (née en 1942 ; on n'oublie pas la petite fille qui apparaît dans la série ouverte par La Maison à la véranda aveugle, 1981) et celle de Tor Åge Bringsvaerd (né en 1939) : après une brillante carrière d'auteur de romans policiers, en collaboration avec Jon Bing, il s'est imposé par une série intitulée Gobi (depuis 1985) et qui confond, autour du prestigieux personnage de Gengis Khan et de son épopée, un nombre étourdissant de thèmes et d'histoires réelles ou légendaires (de la croisade des enfants au preneur de rats de Hameln, par exemple) avec une science du contrepoint, qui conduit à une méditation sur l'histoire et son sens. On a le sentiment d'assister, par là, à un retour aux sources de ce que la Norvège eut toujours de meilleur à nous donner.
Comme les autres littératures scandinaves, la littérature norvégienne surprend par sa constante effervescence, remarquable pour un si petit pays. On l'a vu, déjà, avec les œuvres de Kjartan Fløgstad (son roman Pile ou face, 1998 dénonce les absurdités d'un monde qui devrait être fait pour la beauté), Espen Haavardsholm ou Tor Obrestad, notamment. Un point notoire est d'ailleurs que ce pays en quête de ses racines, se passionne pour ses ancêtres littéraires auxquels il consacre de nombreuses biographies. Un sens pédagogique préside à ces efforts. Le meilleur exemple, célébrissime dans le monde entier, est Le Monde de Sophie de Jostein Gaarder (1991), initiation d'un type nouveau à la philosophie, au point de devenir un best-seller mondial. On notera aussi une résurgence de la poésie lyrique : des valeurs sûres comme Olav Hauge (mort en 1994), Rolf Jacobsen et surtout Jan Erik Vold reviennent en force. Lars Saabye Christensen s'est imposé avec son anthologie Que sont les amis devenus ? (1991), et il a connu de nombreux émules.
On voit également resurgir des valeurs sûres comme Bjørg Vik (ses Roses dans un vase fêlé, 1998, sont un chef-d'œuvre de finesse) ou Dag Solstad, maintenant apaisé (La Nuit du Professeur Andersen, 1996, tire un trait sur son ancien marxisme fracassant). Ici comme ailleurs dans le Nord, le roman policier ou le roman noir qu'avait introduit dans les années 1970 Jon Michelet connaissent une faveur sans précédent. N'oublions pas qu'au départ de toutes ces littératures, il y eut les sagas islandaises qui aimaient, elles aussi, poser des problèmes difficiles à résoudre.
Elles ont aussi marqué le début, voici sept siècles, d'un art narratif, d'un talent de conter, qui n'a jamais trouvé son égal ailleurs, et cela en prêtant une attention extrême à la langue. Ces dispositions foncières sont demeurées intactes. On le voit avec les ouvrages de Tor Åge Bringsværd (sa longue série centrée sur Gobi), de Marianne Fastvold (Tristan arrrive, 1998) ou, sur le plan de l'expression littéraire stricte, avec les impeccables romans de Jan Kjærstad (Le Conquérant, 1996), les textes magistralement dominés de Kjel Askildsen (Les Chiens de Thessalonique, 1996) et les compositions de tendance féministe de Sissel Lie (Pigeon noir, 1997). Il faut faire une place à part à celle qui domine incontestablement les lettres norvégiennes aujourd'hui, Herbjørg Wassmo qui, après la trilogie consacrée à la petite Tora, nous a gratifiés d'une seconde trilogie centrée sur Dina (Le Livre de Dina, 1989, suivi de Fils de la chance, 1997 et de L'Héritage de Karna, 1997). Fait intéressant, les héroïnes de l'une et l'autre trilogies sont des enfants meutries, des petites filles, alors que Bergljot Hobæk Haff qui avait débuté avec un livre étrange, La Sorcière (1974) a exercé une ironie mordante sur l'histoire récente de son propre pays dans un livre étonnant, La Honte (1996). On est en droit de préférer les romans à tendances philosophiques de Nikolaj Frobenius (Le Catalogue de Latour, 1995)
La Norvège littéraire continue d'hésiter entre une manière de réalisme (Erik Fosnes Hansen avec Cantique pour la fin du voyage, 1990, qui traite du naufrage du Titanic) et la recherche d'une certaine fantaisie (Liv Køltzow, Le monde disparaît, 1997).
Depuis les années 1990, Jon Fosse (né en 1959) s'est imposé et bénéficie d'une audience nationale et internationale exceptionnelle. Il fut d'abord un romancier extrêmement attentif à son écriture (Le Plomb et l'eau, 1992), puis l'auteur de recueils de poésie, d'essais et de livres pour enfants qui connaissent une belle audience. Devenu dramaturge, il est, à ce jour, auteur d'une douzaine de pièces dont la plupart ont fait le tour du monde. Citons en particulier, à partir de Et jamais nous ne nous séparerons (1994), Le Nom (1995), Quelqu'un va venir (1996), L'Enfant (1997), Hiver (2003) et tout récemment Rêve d'automne (2006). Ce qui frappe chez cet écrivain de grande classe, c'est d'abord un style sans la moindre concession à la rhétorique, resserré, minimaliste, à la limite de la poésie. Puis une vision du monde, de la vie et de l'homme dominée par le rêve : nous n'évoluons pas dans un monde réel, même si les décors de ses œuvres sont saisis à mi-chemin entre quotidien et transfigurations. Son traducteur en français, Terje Sindnig, dit fort bien : « Maisons isolées au bord de la mer, paysages sous la pluie, fjords sombres et mélancoliques : c'est toute une topographie qui [se] dessine. [...] Et l'on ne sera pas étonné de découvrir que ce monde a pour figures tutélaires le chien et l'ange, emblèmes de la mélancolie selon Dürer. » La comparaison a été également faite avec Tchekhov, à cause de cette réaction comme navrée en face d'un monde qui devrait être beau mais qui ne cesse de se dissoudre. Dans cette atmosphère, les dialogues ramassés portent avant tout une interrogation essentielle.
En vertu de quoi il est permis de penser que la littérature norvégienne de ces toutes dernières décennies est, plus que ses « sœurs » nordiques, de nature métaphysqique.
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Écrit par
- Marc AUCHET : agrégé de l'Université, professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, docteur d'État, docteur honoris causa de l'université d'Aalborg (Danemark)
- Régis BOYER : professeur émérite (langues, littératures et civilisation scandinaves) à l'université de Paris-IV-Sorbonne
- Georges CHABOT : directeur honoraire de l'Institut de géographie de l'université de Paris
- Lucien MUSSET : maître de conférences à l'université de Caen
- Claude NORDMANN : professeur à l'université de Lille-III
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