NOS TEMPS MODERNES (D. Cohen) Fiche de lecture
Raréfaction inexorable de l'emploi, à l'origine d'une pauvreté toujours plus grande ; lien social, jadis garanti par les structures entrepreneuriale, étatique et familiale, et désormais menacé par l'essor d'un individualisme dont le néo-libéralisme n'a de cesse de louer les vertus ; dictature des marchés financiers… autant de maux auxquels nos sociétés modernes se trouveraient confrontées, mais qui seraient les symptômes d'une seule et même maladie : la déliquescence d'un système capitaliste moribond. Plus qu'à des peurs millénaristes, les craintes suscitées par un tel processus renvoient aux bouleversements qui affectent les structures économiques et sociales héritées de la révolution industrielle et de l'après-Seconde Guerre mondiale. Dans son ouvrage Nos Temps modernes (Flammarion, 2000), Daniel Cohen réfute en bloc les prédictions les plus pessimistes et, par une mise en perspective historique des dernières évolutions du capitalisme, livre des clés essentielles à une meilleure appréhension de ces mutations.
Daniel Cohen dénonce avant tout l'idée, véhiculée par les théoriciens de la « fin du travail », selon laquelle la révolution informatique initiée au début des années 1970 et, à travers elle, le progrès technique, conduiraient nécessairement, par les gains de productivité qu'ils engendrent, à la destruction progressive et irrémédiable de l'emploi productif. Le remplacement de l'homme par la machine aurait alors pour conséquence paradoxale l'effondrement du prix des biens produits par rapport à celui des prestations exclusivement réalisées par et pour l'homme. Pour autant, cette conclusion n'est valable que si la production de biens à moindre coût, rendue possible par le progrès technique, parvient à assouvir l'ensemble des désirs humains. Or cette hypothèse est infirmée sur le court terme, puisque bon nombre de besoins vitaux restent encore insatisfaits. Elle l'est encore plus sur le long terme, dans la mesure où elle sous-estime la capacité des hommes de se découvrir de nouveaux besoins, qui motiveraient sans cesse la création de produits nouveaux. Si l'on poursuit néanmoins le raisonnement, le seul palliatif à la raréfaction de l'emploi consisterait dans la sortie d'une partie de la main-d'œuvre du marché du travail, à travers notamment l'allongement de la durée des études ou le recours accru aux préretraites. L'inéluctabilité de l'issue constitue, selon Daniel Cohen, une autre limite de la théorie. En effet, outre le fait qu'elle dénie toute utilité aux politiques économiques, elle conduit à considérer le capitalisme comme incapable d'absorber les chocs exogènes, tant technologique que démographique, faisant ainsi table rase des expériences passées. Or, sans nier l'ampleur des évolutions économiques et sociales, force est de constater que celles-ci ne créent pourtant pas un précédent. Hier, la machine à vapeur et l'électricité ; aujourd'hui, l'informatique et les NTIC : les différentes étapes de l'histoire du capitalisme ont sans cesse été jalonnées d'innovations techniques majeures. Certes, ces dernières ont à chaque fois eu des implications fondamentales, notamment en termes d'emploi et d'organisation du travail. Pour autant, nous dit Daniel Cohen, si le capitalisme est coupable d'une chose, ce n'est pas de moins faire travailler l'homme, c'est au contraire de le faire travailler trop.
La machine n'a pas remplacé l'homme en tant que facteur de production, puisque le poids de l'emploi destiné à la production de biens n'a presque pas varié depuis un siècle en France comme aux États-Unis. Par contre, les emplois sociaux (éducation, santé essentiellement) ont vu leur importance croître au détriment[...]
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Écrit par
- Anne DEMARTINI : économiste
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