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NOSFERATU LE VAMPIRE, film de Friedrich Wilhelm Murnau

Fantastique et mise en scène

Le scénario reprend pour l'essentiel, hormis le nom des personnages et de la ville de Brême qui sont changés, le roman de Bram Stoker, Dracula (1897), qui fonde le genre des récits de vampires. L'enjeu était, pour un cinéaste familier de l'étrange, mais pas du fantastique, de réaliser un film d'horreur. Le sous-titre du film, Une symphonie de l'horreur, l'indique et les contemporains ne s'y trompèrent pas : « on sent dans ce film, précise le critique Béla Balázs, les souffles glacés de l'au-delà ». De nombreuses images du film restent, aujourd'hui encore, impressionnantes, particulièrement celles qui montrent l'ombre du vampire glisser sur sa proie. Ces images, servies par le physique exceptionnel de l'acteur qui l'incarne, bénéficient de violents contrastes épurés, et de cadrages saisissants.

Comme le fantastique en général, cette œuvre a souvent été interprétée comme une allégorie. On a pu voir, dans le voyage qui fait rencontrer dans un pays lointain le non-mort qui apporte la peste, la métaphore d'un passage de la conscience à l'inconscient (le film est contemporain de l'œuvre de Freud), ou le souvenir d'un mythe de la descente (aux enfers ou dans d'autres profondeurs chtoniennes). En tout cas, le sort du couple protagoniste ressemble bel et bien à une fable ; Hutter est un homme prosaïque et passablement aveugle, mais paradoxalement il est le seul à échapper à la peste et à rester finalement indemne malgré la morsure du vampire : c'est qu'il est sauvé par son mariage avec Ellen, femme éthérée et dotée d'une suprasensibilité de voyante.

Bien reçu à sa sortie, pour son atmosphère angoissante et la réussite de ses images, le film ne fut pas aussitôt reconnu comme singulier, au sein d'une production où abondaient les films noirs, fantastiques, gothiques, bref, expressionnistes. Il devint en revanche, lors de sa distribution en France, en 1928, l'objet d'une vive admiration de la part des surréalistes, sensibles à la présence de ce souffle mystérieux qui, selon le credo du mouvement, était l'essence de la poésie. C'est à André Breton et ses amis que l'on doit notamment la fétichisation du célèbre intertitre de la version française : « Quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre », dont le pouvoir évocateur leur paraissait sans limite. Quant au critique Ado Kyrou, il alla jusqu'à suggérer que Max Schreck (dont le nom signifie « terreur ») était un pseudonyme, et que l'acteur inconnu était peut-être... Nosferatu lui-même.

L'acteur de théâtre Max Schreck (qu'on retrouve dans un autre film, comique celui-là, de Murnau, Les Finances du grand duc[Die Finanzen des Grossherzogs], 1924) ne provoque la terreur que transfiguré par le style du cinéaste, surtout dans les scènes tournées dans le château, où la puissance graphique des images est à son apogée. À la différence du tout-venant des réalisateurs expressionnistes, Murnau use d'une mise en scène raffinée et complexe, composant ses plans pour y laisser lire sans symbolisme le sens de l'action en cours (dans un plan de Murnau, « tout est donné », selon la formule d'Alexandre Astruc) ; il joue en outre, et savamment, de figures de montage élémentaires comme le raccord de regard (ainsi, pour traduire l'échange télépathique entre le vampire et la jeune femme). Nosferatu est bien un film de Murnau – et pas seulement l'adaptation réussie d'un livre célèbre. Sous la forme d'un hommage, le sujet fut repris par Werner Herzog en 1978.

— Jacques AUMONT

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle, directeur d'études, École des hautes études en sciences sociales

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Média

Nosferatu le vampire, F. W. Murnau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Nosferatu le vampire, F. W. Murnau

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