NOSTALGIE
Issu des mots grecs νόστος (« retour ») et ἄλγος (« souffrance »), le terme « nostalgie » indique par sa seule étymologie un état d'âme, une humeur au sens allemand de Gemütsstimmung, qui, du champ médical auquel il appartint d'abord, gagna ensuite les champs littéraire et philosophique, en particulier sous la figure du Sehnsucht des romantiques allemands. C'est dire déjà, pour suivre ces derniers, que la nostalgie ou encore l'aspiration douloureuse – la « désirance », selon une nouvelle traduction de Freud – tendrait vers un passé regretté auquel l'imagination, aiguisée par les vicissitudes de l'existence et les contraintes de la réalité, prêterait toutes les ressources de la consolation. On conçoit bien d'après ces présupposés la source féconde à laquelle s'abreuva toute l'esthétique romantique allemande qui, de la « conscience malheureuse » de Hegel, s'élargit bientôt à la quête de l'unité magique de Novalis ; et l'on conçoit aussi l'intérêt pour cette humeur spécifique de la nouvelle psychologie, c'est-à-dire la psychanalyse, dans la mesure où la dynamique psychique qu'elle s'efforce de décrire repose nécessairement sur l'abandon de jouissances auxquelles le sujet ne cessera de vouloir revenir par les chemins de la fantaisie (Phantasie). À de telles réflexions invite la nostalgie, grosse du regret amer des amours enfantines et, plus loin encore, de la Terre mère dans l'absolu du lien fusionnel.
Une histoire médicale
C'est en 1688 que le médecin suisse Johannes Hofer introduisit dans la nosologie médicale la nostalgia comme une maladie proche de la mélancolie qui renvoyait exclusivement au désir du retour dans la patrie, dans le pays des origines. Versé dans l'étude du « mal du pays » (Heimweh), il lui fallut créer un mot qui pût signifier une affection véritable, digne de rentrer dans le vaste registre des maladies, et auquel pût correspondre cet état de tristesse et de léthargie qui envahissait les jeunes Suisses lorsqu'ils séjournaient à l'étranger. « La nostalgie, écrit-il dans sa Dissertatio medica, naît d'un dérèglement de l'imagination, d'où il résulte que le suc nerveux prend toujours une seule et même direction dans le cerveau et, de ce fait, n'éveille qu'une seule et même idée, le désir du retour dans la patrie. » Et, à l'instar de ce qui se passe dans la mélancolie, le malade ne peut s'intéresser à rien d'autre qu'à cette aspiration intense au retour qui s'est bientôt transformée en idée fixe.
Aussi bien, à partir de la découverte de J. Hofer, s'est-on beaucoup penché sur la difficulté des Suisses à s'éloigner de leur patrie, que l'air du ranz des vaches, le Kuhreihen, a contribué à illustrer de façon légendaire. « Cet air si chéri des Suisses, d'après Jean-Jacques Rousseau, qu'il fut défendu, sous peine de mort, de le jouer dans leurs troupes, parce qu'il faisoit fondre en larmes, déserter ou mourir ceux qui l'entendoient, tant il excitoit en eux l'ardent désir de revoir leur pays. » Mais, bientôt, la nostalgie cessa d'être l'apanage des Suisses expatriés et fit l'objet, durant tout le xviiie siècle, de savantes études de la part des médecins allemands dont les principales conclusions faisaient ressortir, outre l'engorgement des viscères et le ralentissement des fonctions, l'inutilité de tout traitement autre que celui du retour au pays natal (Leopold Auenbrugger, Johann Friedrich Cartheuser, Johann Friedrich Blumenbach...). Quant aux médecins français, c'est plus tardivement qu'ils considérèrent la nostalgie comme une maladie, d'abord avec Meyserey, médecin du roi, ancien médecin des armées royales d'Italie et d'Allemagne, qui en adopta le terme en 1754 en[...]
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Écrit par
- Marie-Claude LAMBOTTE : maître de conférences à l'université de Paris-VII
Classification
Média