NOSTALGIE
Un processus psychologique
C'est en effet le même terme de nostalgie (Sehnsucht) que reprend Freud pour désigner également une aspiration intense issue le plus souvent de satisfactions passées auxquelles le sujet n'a pu totalement renoncer, telles par exemple les satisfactions sexuelles qui sont attachées aux zones érogènes infantiles et que le sujet a dû abandonner au profit de la seule satisfaction génitale. Dans ce même contexte de l'évolution libidinale, c'est aussi la nostalgie de la toute-puissance narcissique infantile qui incite le sujet à reporter son amour sur un modèle idéal désigné comme substitut ; et, antérieurement, c'est encore la nostalgie qui le fait choisir un objet à l'image des premiers objets d'amour, ceux-là mêmes qui lui ont prodigué les soins sans lesquels le nourrisson n'aurait pu survivre. Freud résume alors l'importance d'un tel concept pour l'explication du fonctionnement psychique dans les termes suivants : « Le développement du moi consiste à s'éloigner du narcissisme primaire et engendre une aspiration intense[Sehnsucht]à recouvrer ce narcissisme. » Mais, si l'on comprend bien le fait que la nostalgie incite à régresser aux modes de satisfaction originaires comme au retour à l'harmonie universelle des romantiques, on ne peut éviter la question de la valeur de vérité du souvenir ou de la représentation à laquelle un tel sentiment s'attache avec insistance. Et, si les souvenirs sont en partie reconstruits dans un effet d' après-coup, la nostalgie sera moins le résultat d'une privation effective que celui qui est engendré par la répétition d'un certain type de fonctionnement quand celui-ci doit s'effacer au profit d'une élaboration psychique plus complexe. Aussi bien serait-ce les traces laissées par les expériences de satisfaction passées qui définiraient le mieux la nostalgie au sens psychanalytique du terme dans la mesure où, pour reprendre l'observation kantienne, les retrouvailles avec l'objet de la représentation ne semblent pas pour autant correspondre au souhait si longtemps différé. Au contraire, bien souvent liée à l' angoisse, comme Freud le montre dans l'analyse du « petit Hans », cette angoisse persiste même lorsque la nostalgie se meut en satisfaction en présence de l'objet convoité ; l'explication en est alors que la libido ne verse pas toute dans la satisfaction tant attendue, et que le sentiment nostalgique dépasse l'impossible réalité pour rejoindre les créations de la fantaisie. Or, dans cette voie, Freud ramène aussi bien les fantasmes des hystériques que ceux des poètes à des « satisfactions de désir, issues de la privation[Entbehrung]et de la nostalgie[Sehnsucht] » ; bien plus, il attribue à la nostalgie, et cela dès 1897, la résistance qui entrave le traitement, désignant sous ce processus le caractère infantile du sujet : celui-ci, écrit-il, « se développe au cours de la période de “nostalgie”, après que l'on a privé l'enfant d'expériences sexuelles. C'est la nostalgie qui caractérise en premier lieu l' hystérie, comme l'anesthésie actuelle (même si elle n'est que potentielle) en constitue le principal symptôme. C'est pendant cette période de nostalgie que se créent les fantasmes et qu'est (régulièrement ?) pratiquée la masturbation, celle-ci cédant ensuite au refoulement ».
Ainsi donc, faire de la nostalgie un concept opératoire du retour à l'infantile dans la croyance en la toute-puissance qui caractérise le souhait en cette période, c'est reconstruire une fiction métapsychologique qui expliquerait l'émergence de la fantaisie sur le modèle d'un désir non encore exhumé d'un fonds de méconnaissance et d'indétermination. Narcissisme et homosexualité attestent bien cette naissance[...]
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Écrit par
- Marie-Claude LAMBOTTE : maître de conférences à l'université de Paris-VII
Classification
Média