NOTABLES
La fin des notables ?
Les élections de février 1871 leur ont même redonné l'illusion qu'ils jouissaient, malgré la chute de Napoléon III, d'un large pouvoir d'influence dans la population. En fait, dans de nombreuses régions rurales, l'ancienne classe dirigeante avait été plébiscitée non pour son programme réel, le retour à la monarchie, mais pour son programme apparent, le retour à la paix. Tout le jeu politique des républicains a été de convaincre la paysannerie que ce programme d'ordre et de conservation était celui de la République et que le retour à la monarchie des notables serait une nouvelle source de désordres et de révolution. Le message est passé dans la petite paysannerie. Cependant, la défaite des anciens notables a des fondements sociaux plus larges.
Dans les régions de l'Ouest, les notables royalistes perdent peu à peu, à la fin du xixe siècle, les relais d'influence qu'ils avaient patiemment établis depuis la Restauration. Ils se retirent des rares entreprises industrielles subsistantes parce qu'ils ont préféré placer leurs disponibilités financières à l'époque de la prospérité agricole dans les investissements de prestige ou dans la terre, afin de garder intacts les domaines toujours menacés de division à chaque génération. Mais, avec la crise agricole à partir des années 1880, ce choix s'avère peu judicieux puisque le niveau de la rente foncière diminue et descend parfois au-dessous du coût d'exploitation.
Diminués économiquement, ces notables le sont aussi socialement. Le progrès des communications et la scolarisation primaire restreignent la fonction d'intermédiaires qu'ils jouaient entre les villes et les régions rurales autrefois isolées. Démoralisés par leurs défaites politiques, certains quittent leurs terres qui rapportent moins pour investir dans les valeurs mobilières. Les anciens notables négligent aussi de développer les moyens modernes d'influence : presse, syndicats agricoles ou institutions de crédit. La paysannerie échappe progressivement à leur patronage ou à leurs directives politiques, d'autant qu'ils se divisent profondément sur la stratégie à tenir.
La dernière cause de déclin du pouvoir des notables réside dans leur vision du monde elle-même. L'idéal d'une société hiérarchisée qui n'évolue pas, où les inférieurs reconnaissent naturellement la tutelle des supérieurs en échange des services que ceux-ci rendent aux paysans, encore tenable dans certaines régions isolées, ne l'est plus dans une économie de marché, dominée par les villes. L'Ordre moral (1873-1877) a constitué une tentative pour rétablir l'ordre ancien, mais cette thérapie impliquait un recours massif au pouvoir d'État et entrait en contradiction avec l'idéal libéral et décentralisateur d'une partie des notables. L'usage du pouvoir par les gouvernements conservateurs fut donc hésitant. Les mesures répressives qu'ils prirent leur aliénèrent de nouvelles couches sans avoir la vigueur nécessaire pour être efficaces, faute de relais sociaux.
Alors que, sous Louis-Philippe (1830-1848), la domination des anciennes élites était acceptée presque partout en France sauf dans le grand Bassin parisien et l'Est, aux débuts de la IIIe République, le phénomène ne s'observe plus qu'en Bretagne et dans quelques départements de l'Ouest intérieur, dans le Nord et le Pas-de-Calais, et, moins nettement, dans le sud du Massif central et la Franche-Comté. Les notables affinent leur propagande en se posant en défenseurs de l'ensemble de l'agriculture contre la République qui trahirait les intérêts paysans en laissant les frontières ouvertes et en soumettant la terre à une lourde ponction fiscale. Ce discours agrarien obtient un certain écho puisque les républicains se rallient au protectionnisme[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Christophe CHARLE : professeur à l'université de Paris-I
Classification
Autres références
-
BOURGEOISIE
- Écrit par Pierre SALY
- 1 977 mots
Depuis quelques décennies, un autre concept s'est imposé, particulièrement chez les historiens français,c'est celui de « notables ». Les notables sont ceux qui exercent une influence déterminante sur la société grâce à un statut supérieur qui leur est reconnu même par les membres des classes... -
DÉMOCRATIE
- Écrit par Daniel GAXIE
- 10 324 mots
- 3 médias
...selon les scrutins, peut-être déclinante, mais toujours importante, de ceux qui se rendent aux bureaux de vote. Au xixe siècle, les candidats sont des notables (propriétaires fonciers, capitaines d'industrie) qui puisent dans leur patrimoine pour s'attacher les électeurs en distribuant des biens... -
ÉLECTIONS - Histoire des élections
- Écrit par Christophe VOILLIOT
- 5 795 mots
...vivent « de » et non plus seulement « pour » la politique, selon la formule de Max Weber. À l'origine, ces professionnels de la politique peuvent être des notables qui se sont professionnalisés pour faire face à une concurrence électorale de plus en plus vive, comme le baron de Mackau, dont la carrière au... -
PARTIS POLITIQUES - Financement
- Écrit par Éric PHÉLIPPEAU
- 4 663 mots
...l'appel au public qui verse des cotisations, ce qui permet de parer aux frais des élections. Le parti de cadres mobilise d'autres ressources liées à des notables influents, d'abord par leur nom, leur prestige ou leur rayonnement qui « serviront de caution au candidat et lui gagneront des voix ; de notables...