NOTES SUR LA NATURE, LA CABANE ET QUELQUES AUTRES CHOSES (G. A.Tiberghien) Fiche de lecture
L'intérêt que Gilles A. Tiberghien porte aux cabanes n'est pas nouveau. Dans un ouvrage précédent, Nature, art, paysage (Actes Sud-École nationale supérieure du paysage-Centre du paysage, Arles-Versailles, 2001), il avait déjà, en philosophe et historien de l'art, rendu ses lecteurs sensibles à cet archétype qui est aussi un motif de la création artistique contemporaine. La cabane était alors présentée comme « un point de rencontre privilégié entre l'art et la nature », une « façon d'être non pas à l'abri du monde mais hors de soi ».
La cabane n'est pas un abri, ou si fragile : elle expose celui qui l'habite « à lui-même et à la nature conçue comme extériorité ». Une prise en compte sérieuse de la cabane conduit nécessairement à une réflexion sur la nature, l'architecture et l'habiter, mais aussi sur l'exercice de la pensée dans son rapport à l'espace. Écrites sous les auspices de Henry David Thoreau, de Ludwig Wittgenstein et de John Brinckerhoff Jackson, les présentes Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses (coll. Les Marches du temps, éd. du Félin, Paris, 2005), qui reprennent et poursuivent celles publiées en 2000 par l'École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, développent, quoique sur un registre plus personnel, les mêmes interrogations.
À la suite de Vitruve, mais aussi, au xviiie siècle, de Marc-Antoine Laugier, la cabane primitive a souvent été considérée comme l'origine de l'architecture. Il n'est pas sûr pourtant, selon Gilles A. Tiberghien, qu'il faille l'envisager dans cette perspective, qui est celle de la maison, de l'habitat en dur et du chez soi.
La cabane brouille la distinction entre l'extérieur et l'intérieur. La notion d'un seuil, si importante pour la maison, s'efface au profit d'un rapport « élargi » au territoire et plus précisément à son horizon, voire à son horizontalité. Thoreau, lorsqu'il s'établit à Walden Pond, n'est pas Heidegger. S'il y a bien, dans la cabane comme dans la hutte, mise en jeu d'un rapport entre la pensée et une certaine manière d'habiter, on ne trouve pas chez Thoreau ni dans la tradition américaine (ni par extension chez Gilles A. Tiberghien) de quête de l'origine et du fondement. « Construire une cabane, dit l'auteur, c'est précisément ne rien fonder. »
La cabane a quelque chose à voir avec « le corps mobile et itinérant, avec le corps que nous sommes ». Le modèle de l'espace transitionnel élaboré par le psychanalyste Donald W. Winnicott permet de mieux comprendre ce qu'est l'espace de la cabane, en tant qu'expression de l'espace de notre corps vivant : entre le dedans et le dehors, le clos et l'ouvert, en vérité à la lisière du monde où chacun se tient fragilement, là est la cabane, chacun la sienne. La cabane est une façon d'être soi-même, mais dehors, dans le monde.
Aussi n'est-elle pas à proprement parler une « petite maison » ni une demeure, elle est « inhabitable par définition ». Essentiellement mobile, comme un radeau, un pont couvert de la Nouvelle-Angleterre qui se serait détaché lors d'une crue et flotterait désormais sans attaches, comme un chubach du sud irakien, maison de roseaux flottante dans laquelle « on vivait libre et on ne dépendait de personne ».
Cette liberté, cette manière d'habiter provisoirement les lieux, est en réalité une façon de rendre possible l'échange entre l'homme et la nature, ou plutôt de se rendre disponible à l'expérience de la nature. La cabane « est essentiellement en rapport avec la nature », dit l'auteur, qui assume ici un héritage romantique revisité. Mais cette écologie est singulière. La leçon est à recevoir des Indiens, dont les sentiers ont été piétinés par les[...]
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Écrit par
- Jean-Marc BESSE : directeur de recherche au C.N.R.S., U.M.R. géographie-cités