PESTE NOTION DE
Le vocabulaire scientifique cherche à être le plus précis possible. On peut donc s'étonner de l'usage du mot « peste » pour nommer des maladies aussi différentes que la peste humaine et les « pestes » aviaire, bovine ou porcine. Ces maladies ne sont pas provoquées par le même agent pathogène et ne partagent pas de signes cliniques. Cette imprécision obscurcit la définition de ces maladies en même temps qu'elle les rassemble sous la même crainte d'une épidémie aussi terrifiante que la Peste noire du xive siècle. Les craintes suscitées par la peste (aussi dénommée « grippe ») aviaire de 2005 sont un exemple récent du pouvoir alarmant du mot peste. Tout cela traduit la persistance, voire l'extension, de l'usage du mot pour nommer des fléaux en tout genre, bien éloignés de la peste humaine.
Les signes de la peste humaine sont sans ambiguïté
Le mot « peste » vient du latin pestis. Pestis, selon les époques, les auteurs et leurs intentions, désignait certes des maladies contagieuses et leurs épidémies, mais il transmettait plus souvent une image diffuse de ruine, de destruction et, de manière générale, de fléau affectant l'État, les personnes ou les biens. Cette polysémie se retrouve en français dès les premiers usages connus du mot peste, vers 1280. Certes, à la fin du xive siècle, le terme désigne surtout la Peste noire qui ravage l'Europe depuis 1347. Mais il continue, tout comme en latin, à désigner toutes sortes de fléaux qui se traduisent par des atteintes rapides et graves aux personnes ou à leurs biens, les troubles sociaux par exemple. Enfin, le mot peste sert à nommer tant la source de malheurs que les personnes importunes ou qui causent des troubles. Ainsi, Georges Chastellain (1405-1475), historiographe des ducs de Bourgogne, utilise-t-il le mot « peste » dans ses chroniques, dans toutes ces acceptions. Le mot se réduit ensuite progressivement chez l'homme à la peste humaine, mais son emploi figuré, si bien illustré par La Fontaine, persiste de nos jours dans de nombreuses expressions, « petite peste » ou « peste brune », par exemple.
La nosographie de la peste bubonique était à peu près établie par Ambroise Paré dès son Traicté de la peste de la petite vérolle & rougeolle de 1568 : « Fièvre, bubons, charbons, pourpre, flux de ventre, délire, phrénésie, douleur d'estomac, palpitation de cœur, pesanteur et lassitude de tous les membres, sommeil profond et sens tout hébétés, inquiétude, difficulté de respirer, vomissements fréquents, flux de sang par le nez et autres parties du corps, appétit perdu, langue sèche, noire et aride, regard hideux, face pale... tremblement universel, puanteur des excréments... » Celle des autres formes de peste restait plus incertaine. Cependant, au début du xixe siècle, la maladie et ses manifestations étaient parfaitement définies.
On pourrait donc penser que la restriction de l'usage du mot peste à une maladie humaine bien précise est ancienne. Elle est en fait relativement récente et ne date guère que du milieu du xixe siècle. En 1833, les signes de la maladie sont bien décrits dans le dictionnaire médical de Nysten, mais on lit : « Aujourd'hui le mot peste n'exprimant point l'idée d'une maladie déterminée, on lui substitue la dénomination de typhus d'Orient ». De fait, l'édition de 1835 du dictionnaire de l'Académie française donne comme exemple de pestes des maladies pourtant déjà connues comme tout autres : « La fièvre jaune est une peste qu'on dit originaire d'Amérique. La petite vérole est une peste dont la vaccine nous a délivrés. » L'usage précis et exclusif du mot se trouve dans le dictionnaire médical de Littré et Robin de 1855, tandis que la même année une nouvelle édition du dictionnaire de Nysten conserve l'appellation de typhus d'Orient. L'Académie persiste[...]
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Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
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Médias