PESTE NOTION DE
La peste, contenant de tous les fléaux
Cette polysémie complexe n'est pas anodine. L'idée de peste renvoie à l'horreur de la Peste noire, tout comme l'idée de grippe renvoie aux images de l'hécatombe provoquée par la grippe espagnole de 1918. Leur représentation est omniprésente lorsqu'une épidémie – seulement de grippe de nos jours – peut atteindre l'homme. À propos des pestes animales infectieuses, on est évidemment tenté de parler de dénominations vernaculaires qui persistent en l'absence d'autres mots qui seraient plus précis et, surtout, qui seraient facilement acceptés dans le monde des éleveurs. Il s'agirait alors d'une simple commodité verbale sans conséquence particulière. Ce n'est probablement pas aussi simple. L'idée de destruction et de ruine – et on voit bien ce qu'il advient des élevages lors de la suspicion de cas d'une « peste » quelconque – reste fortement attachée à ces maladies. Elle correspond à une réalité économique désastreuse pour les humains, et c'est probablement une des raisons qui justifient la persistance du mot « peste ». Ce n'est certainement pas la seule explication. On craint, dans quelques cas, que ces pestes (ou grippes) animales puissent devenir épidémiques chez l'homme. C'est ce qu'on a évoqué pour la peste dite aviaire et, plus récemment, pour la grippe dite mexicaine. Ce statut de danger potentiel justifie ici encore le maintien du terme dans l'ensemble mal défini d'atteintes graves aux biens et aux personnes, bref de conserver le sens latin de pestis. L'extension de sens est plus difficile à légitimer pour les pestes animales et végétales, et le détour par l'anglais y a certainement joué un rôle significatif.
Au-delà, il paraît plus probable qu'une langue ne puisse pas se priver d'un mot simple et unique dont le sens profond, historique, est perçu par tous. Bien entendu, il faut conserver en mémoire l'usage du mot peste et de la peste dans sa dimension de sanction collective dans l'Occident chrétien, tout comme déjà dans la Thèbes antique, cas d'école de l'origine d'une « peste » sans préjuger de sa nature. De la sanction à la métaphore des animaux malades de la peste en passant par les significations biologiques contemporaines, le regroupement est en réalité cohérent. Qu'est-ce en effet qu'une peste sinon l'envahissement d'un espace, organisme, population, paysage, par un être physique ou, moins fréquemment désormais, moral, qui le détruit ?
Or c'est justement un « objet » obéissant à cette définition qu'on retrouve à tous les niveaux du monde vivant, avec des organismes, virus, bactéries, plantes et animaux invasifs, qui deviennent nocifs précisément parce qu'ils se propagent au détriment des autres. Ainsi, même si chacune de ces pestes possède un nom savant ou technique, il paraît naturel de les rassembler en un ensemble cohérent dont le sens, ou du moins le contenu subjectif, est immédiatement compris par tous. Pour ce faire, il n'y a pas besoin d'inventer un autre mot. Il suffit de conserver le terme peste.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Gabriel GACHELIN : chercheur en histoire des sciences, université Paris VII-Denis-Diderot, ancien chef de service à l'Institut Pasteur
Classification
Médias