PEUPLE NOTION DE
Des univers de sens
La première acception, celle de peuple-souverain, semble évidente aujourd'hui par l'effet de naturalisation progressive qu'a provoqué l'expansion de la démocratie. Pourtant, la conception du peuple comme fondateur et acteur principal de l'ordre politique vient pour l'essentiel du Moyen Âge, avant de connaître une première formalisation moderne avec Thomas Hobbes et Jean-Jacques Rousseau. C'est ainsi au Moyen Âge qu'apparaissent des caractéristiques qui vont s'attacher durablement à cette notion, comme l'idée de contrat fondateur de la communauté politique ou celle de souveraineté populaire. Le peuple est notamment le produit paradoxal de courants de pensée qui entendent affirmer et consacrer l'autonomie et la supériorité de l'Église, et qui vont poser le principe de la dualité des sphères spirituelles et temporelles. Au sein de cette sphère temporelle, le peuple est, pour la première fois, désigné comme l'objet légitime du pouvoir et ses liens avec le Prince sont soulignés, dès cette époque, comme l'une des conditions de la légitimité et de la permanence de l'ordre politique.
Plus tard, Hobbes établit le principe fondateur de la souveraineté, en faisant du peuple la fiction fondatrice et nécessaire de l'ordre politique. Tenant compte de la condition humaine, et notamment de l'impératif de conservation de la communauté par elle-même, l'organisation politique repose, selon lui, sur l'affirmation de la multitude en un corps souverain. Or le peuple est précisément cette multitude qui accède à l'existence politique, à la fois condition et vecteur du pouvoir et de l'ordre. Avec Hobbes, c'est donc la fiction d'une entité homogène comme socle de la communauté politique qui est posée.
Rousseau prolongea et magnifia cette fiction constitutive de l'ordre politique, en l'associant cette fois à l'idée de « volonté générale ». Pour lui, « la volonté générale, qui n'est rien en réalité que la pensée du peuple quand celui-ci pense l'être commun » devient la condition nécessaire à l'existence de cet acteur politique particulier que constitue le peuple. La simple fiction constitutive, posée par Hobbes, est ainsi désormais principe d'action : le peuple est un « moi » moral et collectif à la recherche constante du bien commun et c'est à lui que revient non seulement l'unique autorité légitime, mais encore la tâche de définir les objectifs de la communauté politique et d'être l'acteur principal de leur réalisation.
Cet usage et cette acception politiques n'épuisent cependant pas le contenu même de la notion de peuple. On trouve également un « univers de sens » déterminé par les propriétés sociales que l'on confère au peuple. Dans cette perspective, le peuple est la plèbe, la partie considérée comme « la plus basse » de la population. L'élément discriminant le plus courant et le plus durable est attaché ici à l'absence de propriété. À l'époque même où son sens politique s'affirmait, Jacques Necker caractérisait le peuple comme « la partie de la Nation née sans propriété ». Le peuple se confond alors avec la populace, cette masse de miséreux tentés par la révolte contre les possédants. Dès cette époque, le peuple-classe définit aussi en creux les contours du peuple-souverain, puisque ne sont considérés alors comme citoyens actifs, reconnus « compétents » politiquement, que les individus possédant un revenu minimum.
La révolution industrielle et l'affirmation progressive de la classe ouvrière ont encore renforcé ces caractéristiques, la nouvelle figure du peuple-classe, le prolétariat, se manifestant précisément par l'absence de toute propriété. Dans cette acception, le peuple désigne alors ces classes[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Yves SUREL : professeur des Universités, science politique, Sciences Po, Grenoble
Classification
Autres références
-
AUTODÉTERMINATION
- Écrit par Élise FÉRON
- 1 276 mots
Le mot « autodétermination » se réfère tant aux acquis de la philosophie qu'à ceux du droit international. En termes philosophiques, il désigne la possibilité pour un individu de choisir librement sa conduite et ses opinions, hors de toute pression extérieure. En droit international, ce terme renvoie...
-
DÉMOCRATIE
- Écrit par Daniel GAXIE
- 10 324 mots
- 3 médias
...officiellement définis comme démocratiques que de leur analyse. Ainsi, si l'on en croit Joseph Schumpeter, il est difficile qu'un système politique agisse dans « l'intérêt du peuple ». Il faudrait pour cela postuler que tous les membres du « peuple » n'ont que des intérêts communs et que... -
LA DÉMOCRATIE INACHEVÉE (P. Rosanvallon) - Fiche de lecture
- Écrit par Bernard VALADE
- 992 mots
Après Le Sacre du citoyen (1992) et Le Peuple introuvable (1998),c'est-à-dire après son histoire du suffrage universel et son histoire de la représentation démocratique, Pierre Rosanvallon aborde, dans La Démocratie inachevée (Gallimard, 2000), le problème de la souveraineté du peuple...
-
POPULISME
- Écrit par Pierre-André TAGUIEFF
- 10 928 mots
- 9 médias
...inquiétantes. Il ne faut cependant pas oublier l’existence des populismes de gauche, qui mêlent des revendications sociales à des thèmes renvoyant à la souveraineté du peuple, censée être confisquée ou dénaturée par les élites dirigeantes, jugées « coupées du peuple ». Les populistes de gauche privilégient...