NOTRE-DAME DE PARIS, Victor Hugo Fiche de lecture
Vers le « roman dramatique »
Commune au mouvement romantique européen, la référence au Moyen Âge répond à un double enjeu, politique et esthétique : d'une part, l'écriture d'un « roman national » et postrévolutionnaire, dont l’acteur serait le peuple lui-même ; d'autre part, l'affranchissement des règles du classicisme héritées de l'Antiquité et de la Renaissance.
En situant le début de son livre « un jour dont l'histoire [n'a pas] gardé le souvenir » (livre premier, chap. 1), Hugo choisit de faire revivre un Moyen Âge vivant et populaire, incarné tantôt par un défilé de silhouettes aux noms et aux parlers pittoresques, tantôt par de grandes scènes de foules qui ne sont pas sans évoquer les émeutes dont Hugo a été le témoin au cours de la « révolution de juillet », les 27, 28 et 29 juillet 1830. De même, la distance historique n'empêche pas les attaques transparentes contre les pouvoirs religieux (fanatisme et hypocrisie de Frollo), judiciaires (iniquité des procès de Quasimodo et d'Esmeralda) et politiques (machiavélisme de Louis XI).
Plus largement, l'année 1482 s'inscrit dans une période de transition, entre le Moyen Âge et la Renaissance. La cathédrale, achevée près de deux cents ans plus tôt, apparaît déjà vieillie et presque obsolète : l'imprimerie s'apprête à supplanter le « livre de pierre » dans l'éducation du peuple (livre cinquième, chap. 2, « Ceci tuera cela »). Une période qui fait écho aux années 1830, cet « entre deux » ressenti par la jeunesse romantique comme « quelque chose de semblable à l'océan qui sépare le vieux monde de la jeune Amérique » (Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, 1836).
Au cœur de cette vaste fresque historique et politique, que représente la cathédrale pour Hugo ? D'abord, un élément essentiel de son décor familier, le Paris encore en grande partie médiéval d'avant les travaux d'Haussmann, et un enjeu concret des débats autour de la préservation du patrimoine, auxquels Hugo a déjà pris part (« Guerre aux démolisseurs », 1825).
Mais Notre-Dame peut aussi être vue comme une matérialisation de l'art poétique hugolien. On peut même parler ici de personnification, tant la cathédrale est constamment humanisée, avec ses « rides » et ses « cicatrices ». Foisonnement et variété d'une « vaste symphonie », monumentalité sublime d'une « œuvre colossale », fourmillement de détails peuplant une « construction hybride » : Notre-Dame est à l'image du livre auquel elle donne son titre, son sujet et sa forme. – récit traversé de digressions, œuvre « bizarre » alternant les registres et multipliant les références génériques. À l'image aussi de celui qui l'habite et l'incarne, Quasimodo, créature hybride, mélange de laid et de sublime, d'humain et d'animal, comme le veut le romantisme, et premier des « monstres » hugoliens, avant Gwynplaine (L’Homme qui rit) et Gilliatt (Les Travailleurs de la mer).... On retrouve cette alliance des contraires chez Frollo, vertueux et concupiscent, double inversé de Quasimodo, chez Phœbus, autre antithèse de Quasimodo, le beau capitaine à l'âme médiocre, et bien sûr Esmeralda, vierge et sorcière, modèle de sensualité et de pureté.
Il y a dans cette ambivalence généralisée, dans ce combat universel entre le corps et l'esprit, une fatalité (anankè en grec, comme l'inscription trouvée sur une colonne de la cathédrale au début du roman) qui pèse sur les destinées individuelles et collectives, infléchissant le roman à la fois vers la tragédie et vers le mythe, ou peut-être vers ce « roman dramatique » que Hugo appelait de ses vœux dès 1825 dans un article consacré à Walter Scott : « C'est le roman à la fois[...]
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Écrit par
- Guy BELZANE : professeur agrégé de lettres
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