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NOTRE HISTOIRE INTELLECTUELLE ET POLITIQUE 1968-2018 (P. Rosanvallon) Fiche de lecture

Dans Notre histoire intellectuelle et politique, 1968-2018 (Seuil, 2018), Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, retrace l’histoire des idées et des actions de la gauche française depuis les espoirs suscités par Mai-68, jusqu’aux échecs du Parti socialiste des années 2000. Ayant été lui-même partie prenante de cette histoire (membre de la CFDT, du PSU, puis du PS, il a participé à la création de la Fondation Saint-Simon, puis de la République des idées), il choisit de l’aborder à travers le prisme de sa propre expérience. Mais la hauteur de vue recherchée ne fait pas oublier que Rosanvallon fut l’un des acteurs de la période qu’il analyse. L’ouvrage est important et retrace, avec le talent d’écriture qu’on connaît à l’auteur, les évolutions idéologiques de la gauche, tout en étant tributaire de l’ambiguïté initiale qui le fonde, à mi-chemin du témoignage personnel et de l’analyse historique.

La date de parution n’est pas anodine, 2018 ayant été une année d'importantes commémorations (Mai-68, armistice de 1918). Une commémoration s’accompagne souvent – pour ne pas dire toujours – de luttes politiques et symboliques autour de l’interprétation légitime de l’événement commémoré. Ce fut le cas de celle de Mai-68. Notre histoire intellectuelle et politique, 1968-2018 est difficilement séparable des enjeux mémoriels qui l’ont structurée. Les événements de Mai-68 ont-ils été une bonne ou une mauvaise chose pour la France ? Que penser de l’évolution politique et sociale du pays depuis 1968 ? Comment comprendre Mai-68 avec le recul historique ? Dans le flot de publications, d’émissions audiovisuelles, de colloques et autres tribunes de presse qui ont rythmé l’année, il est difficile de ne pas interpréter la parution du livre de Pierre Rosanvallon, le 30 août 2018, quelques mois après mai, comme une volonté d’avoir le dernier mot après l’effervescence qu’ont suscitée les cinquante ans de Mai-68. Publier avec un temps de retard, c’est s’accorder une confortable position de surplomb qui sied bien à un professeur du Collège de France. Et elle lui est quelque peu indispensable, dans la mesure où cette histoire intellectuelle et politique est aussi et surtout une histoire personnelle, une histoire vécue.

Rendre le monde intelligible

Alors étudiant à HEC, Pierre Rosanvallon, anonyme parmi tant d’autres, vit un Mai-68 tout en discussions et en écoute, préférant les armes de la critique « aux satisfactions de l’activisme », selon ses propres mots. De la CFDT au Collège de France, sa trajectoire personnelle s’entrelace, sans toutefois se confondre, avec l’évolution politique et intellectuelle du pays. L’ouvrage livre le témoignage argumenté et précis d’un homme engagé à gauche qui, à plus d’un titre, a contribué à l’histoire politique des cinquante dernières années, comme il participe désormais aux luttes mémorielles autour de leur interprétation légitime. À la CFDT, il a concouru – sans grand succès, il faut bien le reconnaître – à promouvoir l’autogestion comme ensemble de pratiques alternatives au capitalisme. Directeur d’études à l’EHESS, il tend à s’éloigner de la politique et se donne un programme de recherche pour étudier l’histoire des formes démocratiques dans une série d’ouvrages : Le Sacre du citoyen (1992) et Le Peuple introuvable (1998), notamment. Il n’en participe pas moins très activement à la création et à l’animation de la Fondation Saint-Simon avec d’autres intellectuels et des acteurs du monde économique, comme Roger Fauroux ou Antoine Riboud. Enfin, élu au Collège de France en 2001, il poursuit son œuvre de compréhension des formes démocratiques, en accord avec sa définition de l’intellectuel : « Celui qui cherche à donner un langage à ce que vivent et ressentent les gens et qui, en même temps, essaie de rendre[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences en science politique, université Paris Nanterre

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