Nouar, RIMITTI (Cheikha)
Cheikha Rimitti, née le 8 mai 1923, à Tessala, près de Sidi Bel Abbes, en Algérie, est une des figures les plus importantes de la musique populaire algérienne. En plus de cinquante ans de carrière, cette descendante de la tribu berbère des Charguis a enregistré un nombre impressionnant de cassettes, de disques et d'albums.
Saïda – on ne connaît que son prénom, car elle refuse de dévoiler son véritable état civil – s'installe dans les années 1940 à Relizane et danse dans une troupe de musiciens itinérants. Elle devient la compagne du musicien Cheikh Mohamed Ould Ennems, qui va la faire connaître. Sous le nom de Cheikha Rimitti, elle commence à évoquer certains thèmes tabous – l'amour, l'alcool –, ce qui l'expose à la censure, d'abord dans l'Algérie colonisée, puis dans l'Algérie indépendante. Cheikha Rimitti va perpétuer l'héritage de la musique des Bédouins. Par la suite, elle évolue, en devenant contestataire, alimentant abondamment le raï. Nombre de mélodies et de textes de Cheikha Rimitti seront «empruntés» par les chebs. Elle a enregistré dans différents contextes, en particulier un album «décalé», Cheika (1996), avec Robert Fripp – fondateur du groupe britannique King Crimson et complice de Brian Eno – et Flea, le bassiste des Red Hot Chili Peppers.
Nouar est une chanson raï par son orchestration bien que le texte soit dans la droite lignée de la poésie populaire de l'Ouest algérien. C'est Mohamed Maghni, compositeur et arrangeur à succès, qui a réalisé l'album Nouar. Poly-instrumentiste, celui-ci a étudié le piano au conservatoire d'Oran, puis joué de la guitare dans des groupes phares du rock algérien des années 1970. Au cours d'une jam-session à Paris, il aurait, par son jeu, ébahi Jaco Pastorius, le mythique bassiste de Weather Report.
Dans ce morceau, le bendir, un tambour berbère sur cadre avec résonateur, accentue les temps impairs de la mesure. La guitare d'entrée rappelle les influences flamenco des musiciens oranais, alors que la boîte à rythmes fait, avec son clap, référence au raï authentique, avant sa dilution dans la pop music internationale. Deux pulsations se mêlent dans ce rythme dédoublé qui s'inspire du chired traditionnel et de l'alaoui, courants que l'on a coutume d'intégrer au raï. À l'instar de nombreux artistes algériens, Cheikha Rimitti enregistre d'abord sur une piste de magnétophone, accompagnée d'un instrument rythmique (souvent le bendir ou le sistre) ou d'un clavier témoin, dont le son sera ensuite effacé. Souvent, la première prise suffit, ce qui donne à la session un caractère d'urgence propice à la créativité. Deux guitares en battements complètent la rythmique des boucles de percussions. Une troisième guitare, soliste, opère en contre-chant avec une étrange quinte diminuée solitaire, qui est peut-être un emprunt à un mode chaâbi. Les chœurs masculins, antiphoniques, dans la tradition de certains chants bédouins, répondent à la voix soliste; les musiciens de raï appellent parfois ce procédé «la chorale». La voix scande le texte, émaillé de roulements et de sons de l'arabe dialectal qui deviennent des figures de style. La guitare se réfère à une tradition extérieure mais voisine, la culture andalouse. Les percussions samplées ne couvrent pas le bendir, qui demeure au premier plan sonore. Ce chant nostalgique et véhément, sans trop d'artifices de production, est encore empreint de ruralité.
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Écrit par
- Eugène LLEDO : compositeur, auteur, musicologue et designer sonore