NOUVEAU RÉALISME
Les nouveaux réalistes avec Yves Klein et après lui
Si elles ont pu contribuer à en relativiser l'impact émotionnel, ces arguties ne purent enrayer les effets causés, en juin 1962, par la mort d'Yves Klein sur la cohésion du groupe. Non qu'avec lui Restany ait perdu l'artiste le plus représentatif du Nouveau Réalisme – loin s'en faut. Après leur rencontre, Klein s'était attelé, avec l'énergie obsessionnelle qui le caractérisait, à la mise au point d'un bleu – couleur dépourvue à ses yeux de toute « dimension », emblématique du « rien » bachelardien, et la plus abstraite qui soit – qu'il fera connaître sous le nom d'International Klein Blue. Que ce fût dans ses monochromes bleus, ses Sculptures-Éponges ou dans ses Anthropométries – comme dans ses travaux sur l'air pulsé, puis dans ses « peintures de feu » –, les recherches de Klein tendaient bien plus à exalter la plasticité de l'immatériel qu'à recycler la matière. Il n'en reste pas moins que la notion d'« appropriation » du réel, principal argument théorique du Nouveau Réalisme, avait été élaborée par Restany au contact de Klein, tandis que l'immense singularité du personnage conférait à elle seule une dimension spectaculaire, sinon prophétique, aux orientations du mouvement.
Klein disparu, le groupe bénéficiera brièvement du ralliement de Christo, qui pratique des Empaquetages d'objets depuis 1958, et vient de rééditer à Paris un exploit déjà mis en œuvre à Cologne en 1961, en empilant deux cent quatre barils d'essence en travers de l'étroite rue Visconti. Christo participera au second et dernier festival du Nouveau Réalisme, organisé à Munich en 1963. L'événement donnera lieu – sous le titre « Le Nouveau Réalisme ? Que faut-il en penser ? » – à une troisième version du manifeste de Restany. La dernière manifestation collective du groupe (si l'on excepte une série d'événements organisée en 1970 à Milan) aura lieu en juillet-août 1963 à la 4e biennale de San Marino. S'achève alors, selon Restany, la « période charnière » qui vit naître une « méthodologie du geste appropriatif », à travers l'exploitation, « à des fins stylistiques », du « folklore moderne ».
Après quoi le Nouveau Réalisme se perpétue à la fois dans les œuvres ultérieures de ses pionniers et dans une « relance de l'art d'assemblage » à travers le continent européen. Mais si l'on admet que l'utilisation des néons par Raysse ou de la mousse de polyuréthane par César procède d'une même démarche d'appropriation du réel, ne doit-on pas considérer que le Pop Art, dans son ensemble, en procède aussi ? Quant à l'assemblage, comme en témoignait l'exposition du MoMA en 1961 à New York, il avait donné lieu aux États-Unis à des courants d'une diversité extrême, dont l'influence sur les milieux artistiques européens ne peut être négligée.
Si le Nouveau Réalisme n'est pas – ni géographiquement, ni culturellement – soluble dans le Pop Art, il tire lui aussi sa substance des productions emblématiques d'une civilisation tournée vers la consommation et la communication de masse. En France, le Mec Art (pour Mechanical Art) d'Alain Jacquet, le courant des Objecteurs lancé par Alain Jouffroy, la Figuration narrative de Gérald Gassiot-Talabot, ou l'Eat Art de Daniel Spoerri en seront les avatars directs. Mais ce qui, du moins dans la lettre, distingue nettement le Nouveau Réalisme du Pop Art comme des autres mouvements cités, réside peut-être dans une notion plus rarement invoquée que celle d'appropriation : « Tel est le Nouveau Réalisme : une façon plutôt directe de remettre les pieds sur terre [...] à ce niveau précis où l'homme, s'il parvient à se réintégrer au réel, l'identifie[...]
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Écrit par
- Catherine VASSEUR : docteur en histoire de l'art à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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