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NOUVELLE HISTOIRE ÉCONOMIQUE

Les hérauts de la révolution cliométrique

On peut dater de 1957 le lancement de cette révolution. Cette année-là, Alfred H. Conrad et John R. Meyer présentent une communication sur « l'économie de l'esclavage dans le Sud d'avant la guerre de Sécession ». Alors que l'interprétation traditionnelle mettait l'accent sur la faible rentabilité de l'institution servile du fait de la hausse plus rapide du prix des esclaves que de celui du coton, ils démontrent, calculs à l'appui, que, dans les années 1850, l'exploitation d'une main-d'œuvre asservie procure à ses propriétaires des revenus comparables à ceux d'un capital placé en obligations des compagnies de chemins de fer. Il faut, en effet, tenir compte non seulement du produit du travail des esclaves – le coton, vendu sur un marché mondial –, mais aussi des enfants nés dans l'esclavage qui pourront être employés ou revendus quand ils seront adolescents. La guerre de Sécession n'a donc pas été inutile et l'esclavage n'aurait pas disparu tout seul de sa belle mort, contrairement à ce que prétendait une historiographie dominante d'inspiration sudiste.

Dès la fin des années 1950, des réseaux commencent à s'organiser. À partir de décembre 1960 se tiennent chaque année, à l'université Purdue dans l'Indiana, des « conférences » où les jeunes soumettent à la critique de leurs pairs leurs travaux de nouvelle histoire économique. En 1961, Douglass C. North devient coéditeur de la revue The Journal of Economic History, l'organe de l'Economic History Association ; les articles inspirés par la nouvelle approche y prennent une part croissante. L'autre périodique d'histoire économique, Explorations in Economic History, est contrôlé par la même équipe. En quelques années, la new economic history conquiert aux États-Unis tout le champ intellectuel, sans rencontrer de résistance de la part des historiens traditionnels, qui abandonnent totalement le terrain à leurs collègues des départements d'économie. On ne fait pour ainsi dire plus d'histoire économique dans les départements d'histoire.

Si les new economic historians ont triomphé aussi aisément, c'est parce qu'ils ont réussi à se donner une grande visibilité dans les débats historiographiques, en particulier à propos du rôle des chemins de fer et de l'esclavage américain. Au cœur de ces controverses, on trouve toujours Robert W. Fogel, professeur à Rochester, Chicago et Harvard. Dans son ouvrage Railroads and American Economic Growth publié en 1964, il démontre, en croisant des sources multiples et à partir de calculs finalement assez simples, que les chemins de fer n'ont pas été indispensables à la croissance économique des États-Unis au xixe siècle, contrairement à ce qu'on pouvait lire dans tous les manuels. Si, en 1890, les chemins de fer n'avaient pas existé et si on avait dû transporter les mêmes quantités de marchandises par des modes de transport alternatifs comme la voie d'eau ou le roulage routier, le produit national brut du pays aurait été, cette année-là, inférieur de 5 p. 100 seulement au niveau observé. Fogel en conclut que le chemin de fer est à créditer d'une faible contribution, même si on ajoute le surplus social dans le transport des voyageurs ; cela est imputable aux conditions géographiques particulières des États-Unis dotés d'un beau réseau navigable avec le Mississippi et ses affluents et les Grands Lacs.

En 1974, en collaboration avec Stanley Engerman, Fogel reprend dans Time on the Cross la question de l'économie de l'esclavage. Le problème est très sensible dans un pays où les Noirs ont conquis il y a tout juste dix ans leurs droits civiques. L'ouvrage confirme que l'esclavage était rentable, parce que la productivité des esclaves croissait[...]

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Écrit par

  • : ancien directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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