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NOUVELLE HISTOIRE ÉCONOMIQUE

La méthode cliométrique

Pour se rendre compte de la diversité des sujets étudiés par les new economic historians, il suffit de se reporter aux deux grandes revues signalées précédemment. Comme en économie, l'article prime sur le livre. Le lecteur perçoit immédiatement les différences avec un article d'histoire économique traditionnel – ce qui rend d'ailleurs l'article de cliométrie peu lisible par la grande majorité des historiens. Une fois la problématique posée et rattachée à des débats historiographiques, l'auteur établit les éléments tirés de la théorie économique qui ont servi de cadre conceptuel à sa recherche. À partir de là, il construit un modèle où la variable expliquée est liée à une ou plusieurs variables explicatives. Ces modèles sont souvent empiriques ; ils comportent fréquemment des variables qualitatives, comme le statut socioprofessionnel, la localisation géographique, le sexe, la classe d'âge, à côté de variables quantitatives proprement économiques, comme le salaire, le revenu, l'investissement.

Pour obtenir des résultats pertinents, encore faut-il disposer de données de qualité. On a reproché à la new economic history, à ses débuts, de manquer de soin dans cette phase essentielle de la collecte des données. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Comme le remarquait Robert Fogel en 1990, alors que jadis la discipline se définissait d'abord par une utilisation explicite de la théorie et, en second lieu seulement, par l'accumulation de nouvelles preuves, l'ordre actuel serait plutôt inverse : le travail de recherche sur des sources massives a changé la méthode de l'histoire économique ; de nouvelles techniques d'échantillonnage ont rendu possible l'exploitation de vastes collections de données enfouies dans les archives et l'informatique a réduit dans des proportions phénoménales les coûts de collecte et de traitement. Reste à estimer les équations du modèle à l'aide des techniques statistiques adéquates ; le calcul de régressions permet de distinguer quelles sont les variables explicatives pertinentes.

Les travaux des cliométriciens ont fait l'objet de critiques de la part de leurs adversaires. Les historiens répugnent à l'emploi du « contrefactuel », comme celui que pose Fogel quand il imagine un monde sans chemins de fer en 1890. On fait aussi remarquer que les conclusions tirées sont plus souvent négatives que positives : elles rejettent des interprétations jusqu'alors acceptées, plus souvent qu'elles n'affirment des certitudes au-delà de tout doute raisonnable. Néanmoins, Douglass North, un des pionniers de l'économie néo-institutionnelle (new institutional economics), plaide pour qu'on étudie davantage le changement économique et social, qu'on prenne plus en compte le facteur temps et les institutions. La vitalité de la nouvelle histoire économique a été reconnue par le jury du prix Nobel d'économie qui a distingué Fogel et North, en 1993, « pour avoir renouvelé la recherche en histoire économique en utilisant la théorie économique et les méthodes quantitatives pour expliquer le changement économique et institutionnel ».

La new economic history, de création américaine, ne s'est guère exportée à l'étranger. Si elle a recruté des adeptes dans certains pays anglophones, elle est restée marginale en France, par exemple, où il a fallu attendre 2001 pour que se crée une Association française de cliométrie. À la différence de ce qui s'est passé aux États-Unis, les historiens économiques français n'ont pas abandonné leur terrain aux chercheurs issus des départements d'économie, mais cela a eu un inconvénient : l'absence de dialogue avec leurs collègues d'outre-Atlantique, à quelques exceptions près.

— Jean HEFFER

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Écrit par

  • : ancien directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

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