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NOUVELLE OBJECTIVITÉ

L'objet et la technique

À la suite de difficultés matérielles et politiques – la ville de Mannheim était située en Rhénanie, alors sous occupation militaire française –, Hartlaub ne put mettre sur pied son exposition qu'en 1925, du 14 juin au 13 septembre. À l'exception d'un Suisse, Niklaus Stoecklin, les trente-deux peintres retenus par lui étaient allemands. Pour la plupart, ils étaient assez bien connus : Max Beckmann, Otto Dix, George Grosz, Alexander Kanoldt, Carlo Mense, Georg Scholz, Georg Schrimpf, entre autres. En majorité, ils avaient été plus ou moins liés au mouvement expressionniste. Plusieurs, comme Dix et Grosz, s'étaient tournés ensuite vers le dadaïsme. Adaptation opportuniste ou retournement sincère, tous se vouaient maintenant à une « peinture à sujets » remarquablement travaillée, avec des compositions parfaitement construites.

Dans le catalogue de son exposition, Hartlaub justifie le regroupement qu'il a effectué en invoquant un « art réaliste d'aujourd'hui ». Ce qui caractérise celui-ci, souligne-t-il, c'est l'attention qu'il porte à la présence « accentuée » de « l'univers des objets » dans la vie contemporaine, ainsi qu'au monde moderne de la technique. Et de répéter la distinction qu'il a opérée dans Das Kunstblatt en 1922, entre une « aile droite » s'illustrant par un « néo-classicisme », avec Kanoldt, Franz Lenk, Mense, Schrimpf, et une « aile gauche » comptant, entre autres, Grosz, Karl Hubbuch, Rudolf Schlichter, et qu'il qualifie de « vériste » – mot guère répandu en Allemagne, mais dont il n'était pas le premier à se servir, et qui renvoyait sans doute à une analogie avec le vérisme dont un romancier italien comme Giovanni Verga s'était réclamé à la fin du xixe siècle.

En dépit de la singularité de chacun et au-delà de leurs disparités, tous les peintres qu'il a rassemblés lui paraissent avoir une ambition commune : coller à la vérité du sujet qu'ils représentent, grâce à un travail fondé, comme au temps de la Renaissance, sur la haute valeur du « métier ». Lignes et compositions soigneusement maîtrisées dans les tableaux et les aquarelles de Grosz. Pesante force d'existence dans les personnages que peint Dix. Équilibre imposant des masses et des formes dans les paysages et les natures mortes de Kanoldt. Minutie et acuité du trait dans les dessins de Hubbuch.

Les années suivantes, jusqu'en 1932, consacrent définitivement, dans l'art allemand, la nouvelle objectivité. La notion finit par s'imposer à la manière d'un slogan passe-partout pour désigner aussi bien la nouvelle architecture, qui suit les règles du fonctionnalisme, que la littérature en vogue, où prévalent les reportages, les documents, les faits-divers, en un style volontairement sec, sobre, sans fioritures. En 1928, le compositeur Marcellus Schiffer saisit l'occasion de cette mode pour la ridiculiser dans un fox-trot qui, chanté par Marlene Dietrich et Margo Lion, acquiert la popularité d'une rengaine : Il y a une certaine objectivité dans l'air.

Dès 1928 également, le critique parisien Félix Bertaux, dans un Panorama de la littérature allemande contemporaine, a explicité cette tendance qui émerge alors dans toutes les disciplines en la présentant comme un « ordre froid ». Dans l'alliance de ces deux mots, la désignation ne manque pas de pertinence. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'idée d'un « retour à l'ordre », d'une réappropriation du classicisme, est loin d'être étrangère aux membres des anciennes avant-gardes européennes, à commencer par Picasso. Quant à l'absence de chaleur, elle suppose un regard d'analyste impartial, à la manière du technicien ou du savant. On assiste ainsi à un « passage de l'extase à la connaissance », écrit Bertaux, une connaissance[...]

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