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NOUVELLE VAGUE, cinéma

Une certaine idée du cinéma

En effet, et même si la situation économique globale du cinéma français est saine, malgré la baisse des entrées qui affecte l’ensemble des cinématographies européennes, beaucoup s’inquiètent de l’absence de renouvellement des sujets, des méthodes et des hommes. En 1956, une prime à la qualité pour les longs-métrages est attribuée à des œuvres « de nature à ouvrir des perspectives nouvelles à l’art cinématographique ». Elle va bénéficier, entre autres, aux premiers films de Louis Malle et de Claude Chabrol et permettre la réalisation de nombreux films de la nouvelle vague.

La nouvelle vague ne se résume pas à une nouvelle donne économique. La découverte, après la Libération, du cinéma américain, interdit durant la guerre et que les plus jeunes n’avaient jamais connu, est celle d’un cinéma fondé sur l’action, le geste, le mouvement des corps, échappant à la dictature du scénario, du dialogue, du mot d’auteur à la façon de la tradition de la qualité française. À quoi il faut ajouter pour les futurs cinéastes, dont l’équipe des Cahiers du cinéma, et grâce à Henri Langlois et à la Cinémathèque française, la connaissance de presque toute l’histoire du cinéma, surtout le muet, alors quasi invisible. Devant ces films doublés ou sous-titrés dans des langues inconnues, il fallait déchiffrer l’image, par la seule mise en scène, ce qui faisait dire à Jacques Rivette : « Un film de Mizoguchi ou Kurosawa ne parle pas le japonais mais tout simplement le “cinéma”. » Une nouvelle conception du cinéma se constitue, rejetant dans l’oubli, à tort ou à raison, nombre de gloires anciennes (René Clair, Jacques Feyder, Vsevolod Poudovkine...) au profit d’Hitchcock, Hawks, Welles, Murnau, Lang, Cukor ou Minnelli...

Cette expérience trouve un écho dans un article décisif d’Alexandre Astruc, «  Naissance d’une nouvelle avant-garde, la caméra-stylo », paru en 1948 dans l’hebdomadaire L’Écran français. Astruc y affirme que le cinéma est devenu, à l’égal de l’essai et du roman, « une forme dans laquelle un artiste peut exprimer sa pensée, aussi abstraite soit-elle ». C’est dans cet esprit que sont fondés, en 1951, les Cahiers du cinéma, dirigés essentiellement par André Bazin et Jacques Doniol-Valcroze. Progressivement les plus jeunes cinéastes déjà cités – baptisés parfois « hitchcocko-hawksiens » ou « Jeunes Turcs » –, prennent le pouvoir à l’intérieur de la revue. Ils fondent leur réflexion sur la prépondérance de la mise en scène : « Faire un film, c’est [...] montrer certaines choses, c’est en même temps et par la même opération les montrer par un certain biais ; ces deux actes étant rigoureusement indissociables » (J. Rivette). Le second axe par lequel les Jeunes Turcs vont secouer le vieux cinéma français est la politique des auteurs, résumée en 1954 avec clarté, toujours par Astruc, à propos d’Hitchcock : « Quand un homme, depuis trente ans et cinquante films, raconte à peu près toujours la même histoire [...] et maintient le long de cette ligne unique le même style [...], il me paraît difficile de ne pas admettre que l’on se trouve pour une fois en face de ce qu’il y a après tout de plus rare dans cette industrie : un auteur de films. » C’est la conception même du cinéma qui est ici en jeu. Un film n’est pas une addition de « qualités » – un bon sujet, plus un bon scénario, de bons dialogues, de bons techniciens, et un bon budget –, mais l’œuvre d’un auteur, un homme qui a un univers personnel, dont le modèle serait tout autant Hitchcock qu’Orson Welles ou Jean Renoir, et qui s’exprime par les moyens propres à son art, la mise en scène. Dans un pamphlet que publient les Cahiers du cinéma en janvier 1954, « Une certaine tendance du cinéma français », Truffaut va jusqu’à dire qu’il ne saurait[...]

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Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Médias

Jacques Rivette - crédits : Javier Echezarreta/ EPA

Jacques Rivette

François Truffaut - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

François Truffaut

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