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NOUVELLE

La nouvelle en Europe

En Europe, l'histoire de la nouvelle commence, d'après certains chercheurs, à l'Antiquité gréco-romaine, mais d'autres placent ses débuts à la fin du xiiie siècle, où elle émerge des décombres du Moyen Âge pour s'imposer comme genre autonome. Véhicule de la croyance incrédule de la Renaissance, bien qu'elle soit issue de l'exemplum, elle est rarement d'inspiration ecclésiastique ; imprégnée de l'esprit humaniste, elle rejette la simplicité parfois grossière du fabliau, autre genre auquel elle succède, et cherche à mettre en relief ce qui est unique dans le personnage et son destin. Les auteurs de cette époque publient d'ordinaire leurs nouvelles en cycles, unis par l'artifice d'un jeu de société : une petite compagnie passe son temps en écoutant des histoires qui, pour être proches de la vie quotidienne, n'en contiennent pas moins quelque élément singulier, ce qui leur vaut d'être racontées. Cohérentes et condensées, elles se terminent généralement sur un effet surprenant, souvent rehaussé par une pointe spirituelle. Mis à part ces quelques traits qui, d'ailleurs, ne se retrouvent pas dans chaque récit, la production de l'époque montre la plus grande diversité. Des amourettes libertines aux graves tournants du sort, les conteurs touchent à tout sujet qui s'offre à eux. Boccace se propose d'amuser son public avec le Décaméron et confronte souvent des vérités individuelles aux lois morales en vigueur ; dans l'Heptaméron de Marguerite de Navarre, c'est l'intention didactique qui prédomine. Les Contes de Cantorbéry de Chaucer sont écrits en vers, aussi certains critiques hésitent à les appeler « nouvelles ». Dans les Nouvelles exemplaires de Cervantès, le récit qui relie les histoires est absent, celles-ci sont parfois très étendues et l'action y suit un chemin sinueux. Mais ce sera, en partie, grâce à leur côté romanesque que certaines d'entre elles serviront de modèles aux nouvelles des xviie et xviiie siècles où le genre tend à disparaître au profit du roman, pour renaître ensuite comme le représentant des aspirations au réalisme et à la simplicité.

La seconde période de floraison de la nouvelle commence au début du xixe siècle. Si son héros, à l'époque de la Renaissance, est l'individu qui s'affirme face à un système de mœurs rigides et révolues, le renouveau du genre est lié également à une puissance vague d'individualisme : la nouvelle est, d'après Friedrich Schlegel, « une histoire qui n'appartient pas à l'histoire ». En faveur chez les romantiques, elle ne tarde pas à devenir « l'animal domestique des Allemands », comme disait T. Mundt. Un reflet de sérénité brille encore chez Goethe qui, explorateur des richesses de la réalité, définit le contenu du genre comme « un événement inouï qui a eu lieu ». Mais, à partir de H. von Kleist, les conteurs se penchent sur les abîmes de l'âme et du destin. De même, la tendance réaliste semble faiblir : que le héros soit en quête de la « fleur bleue » ou de son alter ego démoniaque, la nouvelle s'ouvre à la métaphysique et, avec les œuvres de Hoffmann, par exemple, elle se mue en conte fantastique. Un processus semblable s'observe dans les autres littératures nationales : le fond réaliste sert souvent de contraste aux inventions extravagantes de Gogol, de Pouchkine, de Hawthorne, de Poe ou de Gautier, et la grande clarté des récits de Mérimée rayonne autour d'un noyau opaque. La forme reste toujours insaisissable (d'après L. Tieck, c'est la présence d'un « tournant » ; selon Poe – et Baudelaire –, c'est « l'effet unique » qui définit le genre) ; quant au contenu, il reste aussi varié qu'autrefois, bien que de nombreux auteurs choisissent pour objet le moment décisif d'une existence humaine.[...]

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  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université de Paris-IV
  • : chargée de recherche au C.N.R.S.

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