NOVEMBRE 1918 et BERLIN ALEXANDERPLATZ (A. Döblin)
Le nom d'Alfred Döblin (1878-1957) évoque spontanément son roman Berlin Alexanderplatz(1929), dont il faut saluer la nouvelle traduction fort réussie qu'en donne Olivier Le Lay (Gallimard, Paris, 2009). Tout comme il convient de saluer l'heureuse initiative des éditions Agone qui viennent de publier la traduction intégrale – tout aussi réussie – de l'une des œuvres capitales de cet écrivain si méconnu du public français : Novembre 1918. Une révolution allemande, traduction de Maryvonne Litaize et Yasmin Hoffmann, 2009, en quatre tomes : Bourgeois et soldats, Peuple trahi, retour du front, Karl et Rosa.
Écrit entre 1937 et 1943, Novembre 1918. Une révolution allemande connaît une genèse qui reflète l'histoire de son auteur. Seul le premier tome paraît avant 1945 (en 1939 à Amsterdam). Les trois autres tomes sont publiés après la guerre précédés d'un « prélude » qui résume le premier volume en une cinquantaine de pages. Il faudra attendre le centième anniversaire de la naissance de l'auteur, en 1978, pour que les lecteurs ouest-allemands puissent prendre connaissance de l'œuvre dans son intégralité. Les Allemands de l'Est attendront trois ans de plus, les Français trente années !
Dans sa grande œuvre épique sur la révolution de 1918, Döblin ausculte les maladies politiques et sociales dont souffre un patient atypique, l'Allemagne. Il constate que les événements qui précipitèrent la chute de l'Empire et l'avènement de la république parlementaire n'ont entraîné aucune transformation en profondeur des rapports sociaux. Döblin situe son roman entre le 10 novembre 1918 et le 15 janvier 1919, date de l'assassinat de Karl Liebknecht et de Rosa Luxemburg. Il pose son diagnostic : Une révolution allemande, c'est une révolution qui n'a pas eu lieu.
Comme on le sait, les carrefours berlinois où se presse la foule tiennent une grande place dans l'œuvre de l'auteur. À côté de l'Alexanderplatz qu'il a rendue célèbre, la Potsdamer Platz est devenue sous sa plume un lieu littéraire, et non seulement politique. Là, le 1er mai 1916, les spartakistes conduits par Liebknecht et Luxemburg appelèrent à une manifestation contre la guerre et le gouvernement. Presque trois ans plus tard, le 11 janvier 1919, note Döblin dans Voyage et destin (Schicksalsreise, trad. franç. Éditions du Rocher, 2002), quelque trois mille hommes en civil, emmenés par le social-démocrate Noske, paradent sur la Postdamer Platz. Le nouveau pouvoir élabore le projet de décapiter l'ennemi intérieur – les spartakistes – puisque l'ennemi extérieur n'a pas pu l'être. Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg sont assassinés quatre jours plus tard.
Qu'est-ce qui a poussé Döblin, en exil à Paris depuis 1933, à s'intéresser au Berlin de 1918 ? Selon son postulat de départ – qui va évoluer au cours de l'écriture du roman – le nazisme ne fait qu'achever ce que la répression féroce de 1919 avait ébauché. La catastrophe originelle s'est jouée entre les deux dates qui encadrent le roman. Dans le paysage politique de l'époque où Liebknecht et Rosa Luxemburg côtoient tous les acteurs de l'époque – Ebert, Noske, mais aussi Clemenceau, Wilson, Foch –, Döblin charge une sorte de jumeau du célèbre Franz Biberkopf (Berlin Alexanderplatz) de sonder la société et d'explorer comment se fabrique – et non pas s'écrit ! – l'histoire. Döblin fait le portrait de la révolution au quotidien, parfois rue par rue, mêlant des événements historiques, et des scènes de vécu quotidien, comme les discussions dans la classe d'un des protagonistes du roman, l'instituteur Becker, qui découvre peu à peu la nécessité d'une solidarité qui ne soit ni abstraite ni idéologique avec les laissés pour compte de l'existence.[...]
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Écrit par
- Nicole BARY
: directrice de l'association
Les Amis du roi des Aulnes , traductrice
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