NOVUM ORGANUM (F. Bacon)
Le philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626), au terme de plusieurs ébauches, fait paraître en 1620 son ouvrage le plus célèbre, le Novum Organum(c’est-à-dire « Le nouvel instrument »). Son ambition est de fournir une nouvelle logique pour la science à venir et par là même – comme le suggère le titre – de supplanter l’Organon d’Aristote (env. 385-322 av. J.-C.). L’ouvrage exerça une influence considérable sur l’Angleterre du xviie siècle puis sur les Lumières françaises au xviiie siècle. Aujourd’hui, la place de Bacon dans l’histoire de la science moderne est discutée. Si on ne peut lui retirer d’avoir promu l’esprit d’une science nouvelle, il lui est souvent reproché d’avoir manqué l’essentiel, la mathématisation de la physique, et de n’avoir attaché son nom à aucune grande découverte. En vérité, on retint de lui l’idée d’une science fondée sur l’expérience et se gardant de bâtir des hypothèses ; mais on oublia rapidement la méthode, dite de l’induction, qu’il proposa à cette fin. Ce succès idéologique (quant à l’esprit de la science) et cet échec épistémologique (quant à la méthode) témoignent conjointement de la difficulté qui est constitutive de la science moderne : comment celle-ci peut-elle être à la fois mathématique et expérimentale ? En se mathématisant, elle remplace l’étude des rapports entre les choses par le calcul sur des signes : elle est donc une construction de l’esprit humain. Mais en se voulant expérimentale, elle prétend aussi découvrir la vérité de la nature.
Le Novum Organum constitue la deuxième partie du projet philosophique (qui devait en contenir six) de Francis Bacon, intitulé Instauratio magnascientiarum (« La grande restauration des sciences ») et qui restera inachevé. Rédigé en latin sous forme d’aphorismes, le Novum Organum est divisé en deux livres. Le premier s’attache à définir l’esprit de la science nouvelle qui tient en deux mots : rompre et inventer. Il est fondé sur l’opposition entre les deux voies de la connaissance : celle qui, héritée des Anciens, est alors en usage et qui repose sur la construction par l’esprit humain d’hypothèses et de systèmes ; et celle que promeut Bacon et qui, partant des phénomènes, s’élève peu à peu à la connaissance des lois les plus générales de la nature. Le passage de la première voie à la seconde suppose une véritable conversion mentale que, très pédagogiquement, Bacon accompagne. La célèbre critique des « idoles » en constitue un moment charnière : Bacon y dénonce les causes de nos erreurs ou de nos fausses représentations, causes qui sont attachées à la nature humaine, à nos capacités et à nos pratiques individuelles, au langage et enfin aux fausses théories et aux fausses démonstrations. En revanche, nous avons tout lieu d’espérer en notre aptitude à connaître et en la fécondité de la nouvelle méthode, surtout si nous concevons la connaissance non pas comme le travail d’un seul, mais comme celui de la communauté humaine.
Le second livre présente cette nouvelle méthode dite de l’induction. On sait la difficulté de l’invention ou, comme on dit aujourd’hui, de la recherche : comment inventer ou découvrir ce qu’on ne sait pas sans procéder à l’aveuglette ou sans prétendre savoir déjà ce qu’on recherche ? Comment découvrir les lois de la nature à partir d’un champ d’expériences soigneusement établies sans tomber dans ce qui ne serait que pure construction de l’esprit humain ? Comment parvenir à des connaissances certaines sans fermer l’esprit à d’autres connaissances futures qui l’approcheront davantage de la vérité de la nature ? L’idée fondamentale de Bacon est que la connaissance humaine doit rester toujours dans un progrès continu et qu’aucun savoir établi ou système théorique ne doit arrêter ce progrès.[...]
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Écrit par
- Michel MALHERBE : professeur émérite de l'université de Nantes
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