NUIT, iconographie
La représentation de la nuit dans l'art occidental, et plus spécialement dans la peinture, est une question qui n'a jusqu'ici fait l'objet d'aucune étude d'ensemble. Ce problème recouvre en fait deux aspects bien différents, mais qui peuvent coexister dans certains types d'œuvres : celui de l'allégorie, c'est-à-dire de l'expression figurée d'un concept, autonome ou en relation avec un autre thème, notamment mythologique, et celui de l'évocation d'un phénomène naturel, soit pour ses valeurs plastiques et poétiques propres, soit comme contexte et élément signifiant d'une scène donnée.
Le schéma iconographique codifié par Cesare Ripa dans son Iconologia (1593) se réfère explicitement, via Hésiode (Théogonie) et Pausanias (Description de la Grèce), à la tradition gréco-romaine dans laquelle la Nuit (Nyx), fille du Chaos, personnalise l'obscurité primordiale du monde et, à ce titre, compte parmi les divinités redoutables. Hormis l'Air (Ether) et la Lumière (Héméra) qu'elle a engendrés avec son frère Erèbe, Nyx est censée avoir nourri en son sein un certain nombre d'entités et de forces abstraites redoutées des Anciens ou entourées à leurs yeux d'un voile de mystère impénétrable : les Parques, maîtresses du fil de la vie, et les Furies justicières, de même que le Sommeil (Hypnos) et la Mort (Thanatos). Conjuguée implicitement à la vision mystique chrétienne qui fait de la nuit l'élément de la mort (« les ténèbres envahirent la terre... ») et celui, tout aussi bien, du passage vers la résurrection, cette représentation est à l'origine d'une très riche tradition iconographique.
Selon Ripa, la Nuit est « une femme vêtue d'un manteau bleu constellé, avec deux grandes ailes éployées dans le dos ; sa carnation est sombre, son front orné d'une couronne de pavots ; dans les bras, elle porte deux enfants endormis, à droite un enfant blanc (le Sommeil), à gauche un enfant noir (la Mort)... » Ce schéma est, à quelques variantes près — présence ou non des enfants, figure ailée ou non, etc. —, celui auquel obéissent la plupart des œuvres d'art dans lesquelles la Nuit apparaît soit comme thème et figure principale, soit comme élément de la scène décrite, et ce bien avant même la parution de l'Iconologia : c'est le cas, en particulier, du fameux manuscrit de l'Iliade (ve s.) de l'Ambrosienne de Milan, où, dans la scène de la Capture de Dolon, la Nuit est représentée en buste, perchée dans le ciel, ailée et revêtue d'un grand voile noir... comme de la Fuite de Blois de Rubens, l'un des tableaux de la Galerie du Luxembourg (1621-1625, musée du Louvre, Paris). En revanche, dans le Psautier grec 139 (xe s.) de la Bibliothèque nationale à Paris, la Nuit apparaît à plusieurs reprises, vêtue de sombre, nimbée telle une créature céleste, et ceinte d'un voile flottant orné d'étoiles, mais sans ses ailes ni sa progéniture (voir notamment la miniature du Passage de la mer Rouge ; dans celle d'Isaïe en prière, l'Aurore, qui épouse les traits d'un jeune enfant, lui fait pendant). Cette représentation simplifiée n'est sans doute pas la plus courante, mais on la retrouve quelques siècles plus tard dans un tableau de Fragonard (La Nuit étend son voile, 1770, coll. part. Pregny, Suisse), et, plus récemment, sous une forme il est vrai plus cauchemardesque qu'allégorique, chez Ferdinand Hodler (La Nuit, 1889-1890, Kunstmuseum, Berne). Quant aux deux enfants, le Sommeil et la Mort, ils figurent fréquemment dans les bras ou aux pieds de leur génitrice, surtout après la codification de Ripa : citons, entre autres œuvres célèbres, Séléné et Endymion de Nicolas Poussin (1631-1633, The Detroit Institute of Arts), un dessin de l'Allemand Asmus Jacobus[...]
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Écrit par
- Robert FOHR : historien de l'art
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LA TOUR GEORGES DE (1593-1652)
- Écrit par Robert FOHR
- 3 290 mots
- 3 médias
Comme peintre de « nuits », c'est-à-dire de nocturnes éclairés par une source lumineuse artificielle visible dans le tableau, La Tour s'inscrit dans un courant fort ancien de la peinture occidentale, auquel le caravagisme apporta toute la force de conviction de son langage réaliste. Au-delà du luminisme,...