NUMÉRIQUE, anthropologie
Alors que les micro-ordinateurs remontent aux années 1970 et l’essor d’Internet aux années 1990, c’est au cours de la décennie suivante que l’anthropologie du numérique acquiert sa légitimité au sein de la discipline. Contrairement aux essais sur la « révolution numérique » qui spéculent sur la rupture historique qu’opéreraient les nouvelles technologies de l’information et de la communication, l’anthropologie adopte une approche moins déterministe des rapports entre technologie et société : elle rapporte les technologies numériques à des contextes socioculturels particuliers et examine les usages que les gens en font au quotidien. Plutôt que de traiter Internet comme une réalité à part, elle le replace dans un champ plus large, à côté d’autres technologies, d’autres médias et d’autres pratiques. Elle permet en outre un décentrement du regard face à une vision trop occidentalo-centrée d’Internet : alors que les premiers travaux (que l’on doit surtout à des philosophes ou des spécialistes des médias) se limitaient essentiellement à l’Amérique du Nord ou à l’Europe, l’anthropologie étudie l’appropriation des technologies numériques dans les sociétés les plus diverses.
L’identité réelle et l’identité virtuelle
Les anthropologues s’attachent à problématiser et à déconstruire l’opposition entre le « réel » et le « virtuel » à travers laquelle Internet est généralement pensé. Ils explorent l’univers des interactions virtuelles en s’intéressant au degré de réalité et d’authenticité que leur prêtent les participants eux-mêmes : ils examinent par exemple la valeur que ces derniers accordent à une relation amicale, amoureuse ou sexuelle vécue par écran interposé. Les travaux des anthropologues portent également sur les formes de sociabilité au sein des communautés en ligne : ils étudient par exemple la façon dont certaines églises se servent des médias numériques pour « faire communauté », malgré la distance physique qui peut séparer leurs fidèles. Les anthropologues s’intéressent en outre aux mises en scène de l’identité virtuelle. Parfois réduite à la seule présence textuelle, l’identité des participants se trouve dissociée des paramètres habituels qui fondent l’identité sociale dans le monde réel (genre, classe, etc.). Les détracteurs d’Internet s’alarment du fait que cette déconnexion permettrait toutes les tricheries et exposerait l’identité des participants à la suspicion permanente. À l’inverse, les utopistes avancent que le libre choix de l’identité virtuelle permettrait de s’émanciper des assignations identitaires et des formes de domination en vigueur dans le monde réel. Face à ces deux conceptions antithétiques, davantage fondées sur des présupposés idéologiques que sur des faits empiriques, les anthropologues étudient la manière dont les participants évaluent et établissent la confiance nécessaire à leurs interactions en ligne. Bien que l’identité virtuelle puisse être librement choisie et manipulée, il semble que, dans la plupart des cas, les participants s’efforcent de maintenir une certaine cohérence avec leur identité réelle.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Julien BONHOMME : maître de conférences en anthropologie à l'Ecole normale supérieure de Paris
Classification