CEYLAN NURI BILGE (1959- )
Né en 1959 à Istanbul, Nuri Bilge Ceylan entame des études d’ingénieur à l’université technique d’Istanbul, tout en fréquentant les cinémas de la ville, et obtient un diplôme en ingénierie électrique à l’université du Bosphore. Il développe alors un grand intérêt pour l’image, s’inscrit au club de photographie de la faculté, dont la bibliothèque l’aide à former son goût pour les arts visuels, la musique classique et le cinéma. Il voyage à Londres et à Katmandou. Après son service militaire, le jeune homme étudie le cinéma à l’université des Beaux-Arts de Mimar-Sinan, devient photographe professionnel, puis abandonne son cursus universitaire pour passer à la pratique. Il joue dans un court-métrage dirigé par son ami Mehmet Eryilmaz, tout en participant au processus technique de sa réalisation. En 1993, il amorce la réalisation de son premier court-métrage, Koza(Cocon), qui sera sélectionné en 1995 au festival de Cannes. Ceylan se souviendra, tout au long de la vaste saga semi-autobiographique que constitue sa filmographie, de ses multiples « métiers » et passions.
Le chaudron familial
Nuages de mai (1999), son deuxième long-métrage, peut être envisagé comme la matrice de la filmographie de Ceylan. Il permet de prendre les mesures de son univers personnel et plastique. Son personnage principal, qui est aussi son alter ego, Muzaffer (du prénom de l’acteur et ami Muzaffer Ozdemir qui interprète le rôle), est cinéaste… Ce « protagoniste retouché », devenu photographe, se retrouvera dans Uzak (Lointain, grand prix au festival de Cannes 2003)avant de revenir sous les traits d’un vieil acteur misanthrope dans Winter Sleep (palme d’or au festival de Cannes 2014).
Dédié à Tchekhov, écrivain qui irrigue l’œuvre de Ceylan, Nuages de mai constitue une mise en abyme de ses films précédents. Muzaffer revient dans la propriété familiale pour y tourner un film dont ses parents (interprétés par les propres géniteurs du cinéaste) seront les personnages centraux. Nuages de mai se situe au croisement des années 1990 et 2000, et évoque notamment les préoccupations du père, Mehmet Emin Ceylan, qui se bat contre l’administration qui veut abattre les arbres de sa propriété. Il s’agit du premier film tourné en couleur par Ceylan. Comme dans ses précédents opus, le son y tient un rôle primordial : attention accordée aux bruits du vent, des insectes, structures sonores spécialement créées pour l’occasion. Muzaffer apparaît comme un individu autosuffisant, mais peu préoccupé de gagner de l’argent avec son activité, comme le souligne sa mère. Ceylan est un cinéaste moderne, et non « post-moderne ». Dans Nuages de mai, l’alibi du tournage permet de saisir la vie de ses proches, en laissant dans l’ombre toute réflexion sur sa pratique, au contraire de Fellini dans Huit et demi (1963).
Tous les alter ego de Ceylan auront ce profil ambigu. Les plans décousus que tourne Muzaffer sont, en fait, ceux de Kasaba (La Petite Ville, 1998), premier long-métrage de l’auteur, adapté d’une nouvelle de sa sœur Emin Ceylan, tourné en noir et blanc et qui se situe dans les années 1970, durant l’enfance du cinéaste. Mehmet Emin Ceylan y tient, ici, le rôle du grand-père qu’écoutent avec attention le petit Ali (Nuri Bilge enfant) et sa sœur, mais aussi un oncle et quelques parents. Cette chronique de la vie de trois générations de Turcs de la classe moyenne est saisie de manière pointilliste. Les bruits, les jeux sur les nets et les flous de l’image en noir et blanc contrasté sont aussi importants que les récits du patriarche, sinon plus. Kasaba est la mise en fiction du court-métrage sans paroles, Koza, dans lequel les mêmes protagonistes interprétaient les partitions d’un film quasi abstrait où les visages, les arbres battus par les vents, les cieux cotonneux, les bruits d’insectes formaient une vraie symphonie visuelle,[...]
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
Classification
Autres références
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LES HERBES SÈCHES (N. B. Ceylan)
- Écrit par Raphaël BASSAN
- 960 mots
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Fidèle à ses habitudes, Nuri Bilge Ceylan dépeint, dans Les Herbes sèches (2023), une Turquie rurale, fortement marquée par la présence du paysage, où se débat le personnage central, Samet, un enseignant. Si la filmographie de l’auteur est un déroulé déformé, mais pertinent de sa quête existentielle...
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WINTER SLEEP (N. B. Ceylan)
- Écrit par Jacques KERMABON
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Parmi les sensations prégnantes de Winter Sleep, figurent sans conteste le paysage hivernal de la Cappadoce et l'hôtel troglodyte, théâtre du huis clos conjugal écrit au scalpel par Nuri Bilge Ceylan et sa femme, Ebru. Au sentiment d'espace que la beauté plastique des horizons de pierres impose,...