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CEYLAN NURI BILGE (1959- )

Le jeu avec l’autobiographie

Dans cette trilogie, à travers la figure du père, les souvenirs qui lui sont liés et qui renvoient directement au Miroir (1974), l’influence d’Andreï Tarkovski apparaît nettement. D’autres influences se font jour, telle celle d’Abbas Kiarostami pour le portrait du jeune Ali. Des auteurs contemporains comme Asghar Farhadi ou Andreï Zviaguintsev (et son sens de la fatalité) ont pu également influencer Nuri Bilge Ceylan. Sans doute le cinéaste turc a-t-il vu Une séparation (2011) de son collègue iranien avant de tourner Winter Sleep : la peinture caustique, mais sans pathos, de la crise du couple, semble proche chez les deux hommes.

Avec Uzak, on quitte le cocon familial. Mahmut, un photographe très suffisant, accueille à contrecœur un lointain cousin venu de son village. Son dédain à son égard crée une situation délétère, où transparaissent le malaise et l’incommunicabilité que vit cet autre alter ego du cinéaste. Dans Les Climats (2006), Ceylan interprète lui-même le rôle de l’archéologue sur le point de se séparer de son épouse (jouée par Ebru Ceylan, compagne du cinéaste). L’influence d’Antonioni, celui de L’Éclipse (1962), est ici patente. L’auteur utilise pour la première fois le numérique, non pour concevoir des effets spéciaux mais afin d’obtenir l’image qu’il souhaite en ajoutant ou en retranchant ombres, lumières, textures et trames. Ceylan joue avec les thèmes de l’autobiographie pour les détourner. Dans Winter Sleep, le cinéaste enchevêtre deux récits dans lesquels le vieux comédien Aydin dialogue à la fois avec sa sœur et son épouse, et qui renvoient à deux nouvelles de Tchekhov, Braves Gens (1886) et Ma Femme (1892).

Ceylan ne montre pas, dans son œuvre, de véritable attrait pour la peinture sociale. Il réalise néanmoins deux essais dans cette direction, Les Trois Singes (prix de la mise en scène au festival de Cannes 2008) et Il était une fois en Anatolie (grand prix ex aequo au festival de Cannes 2011). Dans le premier film, un chauffeur doit prendre sur lui, contre rétribution, la responsabilité d’un crime accidentel commis par son patron, un homme politique peu amène. Le cinéaste lance ici une charge assez virulente contre la corruption en Turquie. Il était une fois en Anatolie est une œuvre plus sophistiquée. Durant un trajet nocturne en voiture qui, en vue d’une reconstitution, conduit un meurtrier vers le lieu de son crime, on assiste à une joute oratoire entre un médecin et un procureur, deux personnages « modérés », deux facettes de l’alter ego de Ceylan, absent en tant que tel. Des réminiscences de tableaux de Rembrandt sont perceptibles, par exemple dans la séquence du repas chez le maire où l’on passe de l’intimisme à la tragédie, comme dans un drame antique. Une démarche formelle et plastique que l’on retrouvera dans le film suivant, Winter Sleep.

Winter Sleeprevient au jeu de piste autobiographique. Après Ali et Muzaffer, l’alter ego « présumé » de Ceylan s’appelle Aydin, un ancien acteur de théâtre qui gère l’hôtel Othello que lui a légué son riche père. Presque sexagénaire, il vit avec sa jeune épouse Nihal et sa sœur Necla, qui se remet mal de son divorce. Tout en rêvant de rédiger une véritable histoire du théâtre turc, Aydin écrit des chroniques dans un journal local. Deux confrontations capitales règlent le tempo du film : Necla reproche à son frère son manque d’ambition tandis que Nihal, dans une séquence d’anthologie, met le doigt sur sa suffisance et son égoïsme. Contrairement aux autres films, celui-ci se termine sur une note d’espoir. Blessé mais émergeant de sa coquille, Aydin se promet de se réconcilier avec son épouse tout en commençant à rédiger son livre.

Le diptyque formé par Le Poirier sauvage (2018) et Les Herbes sèches (2023) traite des thèmes de la culture et de l’engagement personnel. Dans[...]

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